Petrofac : Quand l'Etat favorise le chômage !
Après 8 mois d’arrêt de son site tunisien, le conseil d’administration du groupe Petrofac a décidé, lors d’une réunion spéciale tenue le 8 septembre 2016, de quitter la Tunisie. Retour sur une affaire pleine de remous où des dizaines de chômeurs prennent le pouvoir mettent à l’arrêt une société pétrolière, éjectent les forces de l’ordre de Kerkennah et font régner leurs lois !
La date initiale de départ a d'abord été fixée au 12 septembre dernier, mais le gouvernement actuel, récemment nommé, a demandé aux Britanniques un délai de 10 jours pour régler ce dossier mais c’était sans compter sur le manque de patriotisme de certains, qui ont privilégié leurs intérêts sur l’intérêt de la communauté et de la Tunisie. Le deadline arrivé à son terme, le DG de Petrofac Tunisie aurait informé officiellement le gouvernement tunisien du départ du personnel, le matériel et les équipements devant être placés sous la responsabilité de l’Etat tunisien, selon les termes de l’accord les liant !
Tout a commencé le 19 janvier 2016, où environ 70 chômeurs sont entrés de force dans les locaux de Petrofac et ont bloqué la production. Ils ont entamé un sit-in et dressé leurs tentes réclamant que la société pétrolière continue à leur verser des allocations de chômage. Ils ont été délogés de force par les forces de l’ordre le 4 avril 2016 pour lever ce sit-in illégal qui a bloqué la société plus de 75 jours, mais en subissant plusieurs dégâts (postes et véhicules incendiés, véhicules jetés à la mer et forces de l’ordre délogées de l’île laissant les rênes à l’armée). Certes, les forces de l’ordre ont réussi à mettre fin à ce mouvement, ce qui a permis à l’entreprise de reprendre normalement son activité, mais le noyau de protestation a été uniquement déplacé puisque les contestataires ont empêché les camions de la société de quitter l’île. Ce qui a contraint la société à cesser sa production au bout de 5 jours, ses cuves de stockage ainsi que ses camions censés acheminer sa production vers Skhira, étant remplis de condensat (liquide de gaz très inflammable).
On notera que depuis février 2016, le partenaire britannique avait exprimé son mécontentement, étudiant l’éventualité de quitter la Tunisie, face à des blocages à répétition qui ne concernent même pas la société. Il a renoncé à des investissements de l’ordre de 40 millions de dinars qu’il comptait faire en 2016, pour le forage de deux nouveaux puits à Kerkennah "Chergui 9" et "Chergui 10", sachant que si ces investissements ne sont pas réalisés, la production de la société baissera. Ce qui l’obligera de toute façon à quitter le pays.
Après six mois d’arrêt, Petrofac Tunisie, s’est trouvé dans l’obligation d’entrer, le 20 juillet 2016, en chômage technique.
Mais comment en est-on arrivé là ? La société avait décidé, depuis début 2015, de stopper le financement d’un fonds environnemental destiné au gouvernorat de Sfax pour aider les jeunes chômeurs à la recherche de travail. Sauf que cette situation dure depuis 5 ans, avec un coût de 1 million de dinars par an permettant de subvenir aux besoins de 266 personnes.
En avril 2015, et pour lever un sit-in de ces mêmes personnes, il a été décidé la création début 2016 de la Société de l’environnement de Kerkennah, qui sera financée par l’Entreprise tunisienne d'activités pétrolières (ETAP) via un fonds doté de 1 million de dinars. Les autorités ont également obligé Petrofac à continuer de verser les allocations jusqu’à fin décembre 2015. Or, la société n’a pas été créée et les chômeurs se sont donc rabattus sur Petrofac, qui se trouve prise en otage dans une affaire qui ne la concerne plus.
Quel a été le coût de ce mouvement ? Dans une interview accordée ce lundi 19 septembre 2016 à l'émission Expresso de Wassim Ben Larbi sur Express Fm, la ministre de l’Energie, Héla Cheïkhrouhou, a souligné que le puits de Chargui est important et fournit 10% des besoins de la Tunisie en gaz naturel. Selon elle, l’arrêt de production, depuis janvier 2016, a coûté 200 millions de dollars dont la moitié était des recettes pour les caisses de l’Etat. En plus, au lieu que la Tunisie se fournisse de son propre gaz naturel, elle a dû recourir à l’importation pour un montant total de plus 100 millions de dinars (MD), soit 10 MD en plus à cause de l’arrêt de Petrofac. Ajouté à tout celà, les 168 personnes, bien rémunérées avec plusieurs avantages, et les 90 agents de gardiennage vont se trouver au chômage. Il en sera de même pour la majorité des 300 emplois indirects qui vivent grâce à la société pétrolière. Un bilan bien sombre !
Certes dès le démarrage des protestations, la société et le gouvernement Essid n’ont pas arrêté les négociations avec les chômeurs afin de trouver une solution pacifique au problème, mais sans aucun résultat. Les réunions se sont suivies sans aboutir à des accords.
Ayant appris l’intention de Petrofac de quitter la Tunisie et ses répercussions sur l’économie du pays ainsi que sur son image, alors que les politiques tentent de la redorer en lançant des signaux positifs aux investisseurs, le gouvernement Chahed s’est monopolisé pour étudier le dossier et trouver une solution en 10 jours à un dossier aussi épineux.
En effet, la société pétrolière veut déclarer l’état de force majeure, avec arrêt des contrats et payement des salaires, prise en charge de tout dégât pour le matériel, les stocks de condensat et les locaux. Elle peut aussi, vu l’ensemble des contrats qui la relient à l’Etat, trainer la Tunisie devant l’arbitrage international et la poursuivre pour des dommages et intérêts, et aura surement gain de cause.
C’est dans ce cadre qu’une équipe ministérielle du gouvernement Chahed a été dépêchée pour des négociations marathoniennes avec les protestataires bloquant l’activité de la société pétrolière, l’échéance fixée par le groupe Petrofac étant prévue pour ce mardi 20 septembre 2016.
Ainsi, un accord de conciliation a été trouvé dimanche 18 septembre 2016, qui satisfait pratiquement toutes les revendications. Le bureau exécutif de l’UGTT en tant qu’intermédiaire a été chargé de la soumettre aux chômeurs bloquant Petrofac.
Quels sont les termes de cet accord ? L’Etat et Petrofac Tunisie ont consenti à faire plusieurs concessions pour garantir la paix sociale. Ainsi, les deux parties se sont engagées à mettre un terme à toutes les poursuites engagées contre les protestataires, quelques que soient leur nature. Elles ont aussi accepté de créer une société de services et de développement pour la région, qui emploiera les personnes n’ayant pas le Bac, des 266 personnes bénéficiaires des subventions RSE de la société pétrolière, pour un capital de 2,5 millions de dinars payé par l’ETAP et Petrofac. Pour ceux ayant le bac et plus (environ 200 personnes de cette même liste), ils auront dorénavant des contrats de travail avec CNSS, le deal étant de passer tous en CDI, par tranche, d’ici 2020 (16% en 2017 et 28% en 2018, 2019 et 2020). En outre, pour ceux qui veulent créer leur propre projet, l’Etat s’engage à les aider à le faire, pendant 2 ans.
En plus, l’Etap et Petrofac s’engagent à fournir, au plus, une enveloppe de 1,5 MD par an au profit du Conseil régional pour réaliser des projets de développement : ce budget permettra aussi de payer les salaires des contractuels jusqu’au recrutement de la dernière tranche en 2020.
Bien que 95% des protestataires sont satisfaits de cet accord, 6 ou 7 personnes ne le sont pas! Elles bloquent la signature d’un arrangement de conciliation. Pire, via l’UGTT, les protestataires ont envoyé à l’Etat, ce mercredi, une nouvelle liste de revendications.
Leurs nouvelles demandes sont sidérantes ! En premier lieu alors qu’ils ont tout fait pour se désister à leurs responsabilités, les protestataires veulent inclure dans l’accord le fait que la responsabilité de cette situation soit incombée aux forces de l’ordre et aux agents de sécurité de Petrofac. Ils réclament que les recrutements se fassent selon les quotas 30% annuellement pour 2017, 2018 et 2019 et que la commission de recrutement soit composée par les autorités locales, l’Union locale de travail et l’Union des chômeurs. Et ça ne s’arrête pas, ils ont jugé que l’enveloppe allouée au profit du développement régional est insuffisante et réclament qu’elle soit augmentée à 10 MD et qu’elle soit gérée par la commission précitée. Autrement dit, eux-mêmes. Ces derniers veulent aussi que toutes les procédures entamées contre les habitants de Kerkennah, suite aux différents mouvements de protestations déclenchés depuis le commencement du sit-in le 19 janvier 2016, soient abandonnées. Ils revendiquent que tous les salaires non versés depuis, janvier 2016 et jusqu’à cette date, leur soient versés. Enfin, ils réclament la création d’un centre de formation par l’Etat dans les activités pétrolières.
Conséquence et puisque les négociations n’ont pas abouti, Petrofac aurait annoncé officiellement au gouvernement Chahed son départ du site tunisien. Que le gouvernement ait accepté le chantage des sit-inneurs, signifie que la porte restera ouverte aux revendications venant des différentes régions du pays, notamment de Tataouine et de Gafsa où il y a déjà des blocages et un arrêt de production par des ouvriers ou des chômeurs, et ceci pratiquement pour les mêmes raisons : être recrutés au sein de la société.
En contre partie, alors que le pouvoir en place est en plein préparatif pour la Conférence internationale sur l’Investissement, multiplie les invitations aux investisseurs et aux bailleurs de fonds et fait son maximum pour redorer l’image de la Tunisie, des parties intérieures sont en train de saboter ces efforts.
On rappelle, dans ce cadre, que chaque jour d’arrêt cause des pertes de l’ordre de 200.000 dollars, à savoir que 80% des revenus de Petrofac reviennent à l’Etat tunisien. En 2010, les ressources tunisiennes couvraient plus de 90% de ses besoins énergétiques, aujourd’hui elles ne subviennent qu’à 50%, à cause de l’arrêt de l’investissement dans ce secteur. Petrofac produit 12,5% des besoins du pays en gaz, soit environ 1 million de m3 de gaz par jour. Son unique client est la Steg qui rachète ses produits 22% moins cher que le prix du marché. Or, depuis l’arrêt de la société, la STEG est obligée de se ravitailler en Algérie....et en devises !
Imen NOUIRA