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Chroniques
Les Tunisiens ont besoin de représentants et non de représentatifs
01/09/2014 | 16:11
6 min
Par Nizar BAHLOUL

Les listes pour les législatives sont enfin déposées après plusieurs semaines de rixes au sein des partis. Plus de 15.000 candidats dispatchés sur 1.500 listes en course pour les 217 sièges au parlement. Un nombre extraordinairement élevé et qui reflète l’égo démesuré des candidats puisqu’on a 69 candidats pour chaque siège au parlement. A titre comparatif, en France lors des législatives de 2012, il y a eu 6.611 candidats pour 577 sièges, soit 11 candidats pour chaque siège. Ceci reflète également l’intérêt, ou plutôt l’engouement, pour la chose publique.
Depuis l’annonce des noms composant certaines listes, les critiques ont fusé de toutes parts. Certaines candidatures peuvent être considérées comme indécentes. Celle de l’ancien ministre de la Justice, Nadhir Ben Ammou, restera dans les annales tunisiennes de l’indécence politique. Voilà donc un ministre parachuté dans un département de souveraineté au lendemain de l’assassinat de feu Chokri Belaïd. Il a été présenté comme technocrate indépendant dont le seul souci est de mettre de l’ordre dans le système judiciaire. Mais rapidement, certains observateurs avisés ont alerté l’opinion publique de son manque d’indépendance et de sa partialité. En août 2013, Habib Rachdi, SG des syndicats de prison, indique que le ministre ne décide de rien (voir notre article à ce sujet). Le 16 septembre, notre confrère Zied El Héni l’accuse d’avoir menti concernant l’implication de son ministère dans son arrestation (voir notre article à ce sujet). Avant la révolution, on reprochait aux médias de ne pas révéler au public les scandales des gouvernants. Ce problème, très bien résolu, n’a servi à rien puisque les gouvernants continuent à faire ce que bon leur semble et à collectionner les casseroles au mépris total des gouvernés. Avec sa candidature la semaine dernière, Nadhir Ben Ammou apporte les preuves de sa complicité avec le parti islamiste.
Il n’y a pas que lui, car on peut dire la même chose de Slim Besbes et Naoufel Jemmali, ministres «indépendants » du gouvernement Jebali. Idem pour Mohamed Ennaceur, candidat de Nidaa Tounes, alors qu’il était candidat « indépendant », « technocrate » et « neutre » au poste de chef du gouvernement. A ce groupe, je rajouterai volontiers Ezzedine Bach Chaouch qui rejoint le parti CPR. Le summum de l’indécence est qu’un ancien ministre tunisien de la Culture soit désormais membre d’un parti qui appelle à la haine, la division et l’exclusion des Tunisiens. Un parti dont les membres parlent ouvertement de potences. L’image que donne sieur Bechaouch est celle que pourrait donner une ancienne nonne participant à un film porno.

N’empêche. A la lecture des noms, il y a de quoi se réjouir comparativement aux listes de 2011. Il vaut mieux avoir au parlement d’anciens ministres, même définitivement grillés par leur « nouvelle » appartenance politique, que des « incultes » qui nous parlent de coupures d’eau dans les cérémonies de mariage et d’interdiction de mixité dans les patrouilles de police.
Le niveau bas, parfois très bas, de plusieurs députés élus en 2011 a fortement déçu les Tunisiens. En réponse, on disait que ces gens là sont représentatifs du peuple. Certes, un Ben Ammou ne vous parlera jamais des problèmes réels du pays profond comme le ferait un Brahim Kassas ou une Sonia Toumia. Ceci est certes vrai, mais quand Kassas et Ben Toumia relèvent les problèmes, qui est chargé de proposer les solutions ? Les médias relèvent suffisamment les manquements, on peut se passer largement des observations de ces élus. Quant aux propositions archaïques et moyenâgeuses de députés comme Habib Ellouze et Sadok Chourou, le pays s’en passerait volontiers. Ces deux intégristes sont bien représentatifs d’une partie du peuple, mais ils ne peuvent en aucun cas ramener une solution digne d’un pays vivant au XXIème siècle.

L’autre polémique déclenchée par la publication des listes est liée à la présence d’hommes d’affaires. On en trouve notamment chez Nidaa, Ennahdha, Afek et l’Alliance démocratique. Le choix de ce quatuor pour leurs têtes de liste reflète leur parfaite compréhension des vrais problèmes du pays et des solutions qui s’imposent pour résoudre ces problèmes.
Depuis des années, et bien avant la révolution, le mal endémique de la Tunisie réside dans son chômage. Comment créer de l’emploi et  éloigner les jeunes de la précarité, de l’émigration clandestine et de l’illégalité ? Il y a les solutions faciles et coûteuses, celles d’ouvrir les portes de la fonction publique. Et, depuis 2011, on les a bien ouvertes jusqu'à mettre le pays à genoux.
Pour résoudre le problème du chômage, et en tenant compte de l’expérience des pays industrialisés, on a encouragé l’entreprise. Le vrai vivier de l’emploi, et donc de la croissance, est chez les entreprises et non chez l’Etat. Des mesures phares et encourageantes pour les hommes d’affaires ont été imaginées par ces pays industrialisés et les fruits de cette politique ont été rapidement cueillis. Les USA qui ont eu une véritable grosse crise en 2008 n’ont pu être sauvés qu’après les aides de l’Etat aux grosses industries. Ces industries ont pu redémarrer, créer de l’emploi et de la croissance a rapidement été au rendez-vous.
Il ne faut pas réinventer la roue, ni chercher à inventer le fil à couper le beurre. Le parti qui encouragera le chef d’entreprise est celui qui réussira. Moins d’impôts, souplesse dans le crédit et des lois sociales moins contraignantes aideront à créer de l’emploi et la croissance. C’est comme cela que ça s’est passé dans les pays développés et c’est comme ça que ça se passera en Tunisie. Tout parti qui vous dit le contraire est un parti voué à l’échec. On ne peut pas évoluer sans travail, on ne peut pas évoluer avec la séance unique, les horaires allégés ou un long week-end. Cette valeur travail ne peut pas être valorisée dans la fonction publique qui traine des décennies de bureaucratie. Seul le privé peut l’assurer.

Pour le moment, la législation est loin d’être clémente envers les entreprises et la création de valeur ajoutée. Quand un jeune diplômé, sans ressources financières importantes, veut lancer son propre projet et créer de l’emploi, il se trouve face à un labyrinthe bureaucratique et l’impossibilité de souscrire des crédits. Une fois son projet lancé, on lui demande immédiatement de payer des milliers de dinars sous forme d’impôts, de TVA (qu’il n’a réellement pas récupérée), de cotisations sociales etc. Cette législation contraignante doit être changée pour encourager à la création d’emploi et ce ne sont pas les députés préoccupés par la mixité, la polygamie, la normalisation avec Israël et la maison du martyr qui vont la changer.
Seuls des hommes d’affaires avisés des vrais problèmes du pays et au contact quotidien et permanent avec leurs ouvriers et salariés peuvent apporter les solutions concrètes.
Alors quand on voit Ennahdha remplacer un Chourou par un Frikha et Ben Toumia par un Ben Ayed ou un Loukil, il y a de quoi se réjouir de l’évolution du parti islamiste. On peut chercher des poux chez certains de ces hommes d’affaires, et il y en a à la pelle, mais l’heure n’est plus aux clowneries. On peut dire que ce sont des lobbys qui vont favoriser leur business, mais il vaut mieux un lobbyiste favorisant son business et créant de la valeur ajoutée à toute la communauté, qu’un intégriste appelant à couper les mains aux grévistes et un autre qui veut exclure ses adversaires politiques.
Cela ne dédouane pas pour autant les partis d’avoir choisi de mauvais hommes d’affaires trainant des casseroles et menant leurs entreprises vers la faillite, mais le principe demeure valable. Ce n’est pas parce qu’un homme d’affaires est mauvais ou voleur qu’ils le sont tous.
La majorité des hommes d’affaires roulent en grosses berlines et comptent des fortunes à six et sept chiffres. Ils ne sont pas représentatifs du peuple, mais ils peuvent être d’excellents représentants. Ils ont la recette du succès (la leur) et feront tout pour la partager avec leurs compatriotes jeunes chômeurs en leur facilitant au maximum la tâche ou, au moins, en leur supprimant toutes les barrières les empêchant de réussir.

PS : titre inspiré par la phrase d’un ami qui se reconnaitra.

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