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Tribunes
Enjeux post électoraux en Tunisie
19/09/2014 | 10:12
7 min
Enjeux post électoraux en Tunisie
Par Mohamed Sahbi Basly*

Maintenant que toutes les listes électorales, quelque soit leur nombre, sont avalisées auprès de l'ISIE et que tous les Tunisiens se préparent à vivre les premières élections pluralistes légales et nous l'espérons démocratiques de son histoire, il y a un impératif qui nous incombe à tous, autant que nous sommes, c'est la réussite de ces élections. Il s'agit d'un devoir national et d'une urgence.
C'est également une manière de montrer à ceux qui le ne souhaitent pas, que la petite Tunisie est en mesure de réussir enfin son pari, tant souhaité par de nombreuses générations de démocrates depuis l'indépendance, pour s'inscrire de manière irréversible, dans ces valeurs universelles et la modernité à l'instar des pays du monde moderne. Cependant si cela est fort possible aujourd'hui et nous sommes sur le point de le réaliser, il n'en demeure pas moins qu'il serait utile pour réussir ce pari, d'évaluer les enjeux majeurs de la prochaine étape post électorale en Tunisie, qui sont à mon sens essentiellement de trois ordres :
1/ La capacité d'assimilation, de " l'islam politique" dans le paysage politique tunisien. De sorte que le parti tant décrié Ennahdha qui a obtenu le plus grand nombre de sièges à l'Assemblée constituante le 23 octobre 2011, devienne un parti politique au même titre que tous les autres partis politiques, et accepte par tous, sans préjugé idéologique préalable ni procès d'intention. Toutefois pour ce faire, un démarquage net et précis de ce parti, par rapport aux salafistes rigoristes et autre courants extrémistes religieux est nécessaire. Tout au moins serait-il indispensable à celui-ci, de montrer comme il l'a fait récemment, une capacité réelle à juguler et maîtriser les courants obscurantistes et rétrogrades qui le traversent par moments.

2/ La nécessité impérieuse de lutter sans équivoque, contre le Terrorisme régional qui s'est installé dans le pays et qui a des motivations extra territoriales. À ce jour, ce terrorisme reste tributaire des politiques dans la région, il n'est donc pas sauvage et reste dans une certaine mesure contrôlable. C'est précisément cette volonté politique qui doit endiguer ce fléau qui sévit dans la région et qui se nourrit de la contrebande installée depuis quelques temps déjà entre le Mali, le Niger, l'Algérie, et plus récemment la Libye depuis le contrôle inefficace des frontières en Tunisie suite aux événements du 14 janvier 2011 .

Ansar Al Chariaa et l'AQMI, d'abord, et l'Etat Islamique, qui s'est auto-proclamé en Irak ensuite, et qui connaît de nombreux adeptes notamment parmi les jeunes en Tunisie et dans la région, sont la traduction d'une "mal vie", et correspondent à l'obstruction d'un horizon clair pour cette jeunesse sans avenir et en proie à ce lavage de cerveaux qui préconise la solution de tous les maux de la société arabo - musulmane dans la création de la Oumma Islamique.  Cet état charaïque sans frontières est destiné à lever l'étendard du jihad islamique, seul moyen de fédérer les musulmans du monde Arabe et au delà, et libérer enfin la Palestine et sa capitale Al Qods Al Charif.

Ce discours connaît beaucoup d'adeptes à l'intérieur de nos frontières et à l'extérieur. Sur le plan géo-stratégique, cette façon de voir les choses tient la route et ne va pas nécessairement à l'encontre des intérêts des forces en présences, y compris occidentales, dans la région. Fort heureusement, celle-ci a décidé d'en découdre avec cette excroissance politique et sociale, et ce n'est qu'une bonne nouvelle pour les musulmans que nous sommes.

3/ - La consécration de l'unité nationale, et la restauration de l'autorité de l'Etat. Pour cela, la Tunisie a plus que jamais besoin de tous ses enfants et de toutes ses générations actives, de 20 à 90 ans ! À cet effet, seule la réconciliation nationale est à même de faire sortir ce pays de ce marasme économique, social et politique. Je n'ai pas cessé de le dire depuis 2011 et ne cesserai pas de le répéter à chaque occasion, pour que les Tunisiennes et les Tunisiens apprennent enfin à vivre ensemble et puissent tourner cette page de leur histoire récente sans amertume ni rancune, pour mieux avancer ensemble vers un futur serein.
Cependant quels que soient les résultats des élections le 26 octobre 2014, il est permis d'affirmer, bien que les conditions actuelles peuvent être modifiées :

- Qu'aucun parti politique en Tunisie, n'aura la majorité absolue dans le prochain parlement. Deux partis auront très probablement ensemble la majorité des sièges (+ 50 %) et donc peuvent gouverner ensemble, il s'agit d’Ennahdha de Rached Ghannouchi et Nidaa Tounes de Béji Caïd Essebsi. Les deux principaux partis chercheront des coalitions avec d'autres petits partis pour constituer une majorité parlementaire et former un gouvernement. C'est un exercice inhabituel en Tunisie et difficile à mettre en œuvre. C'est pour cette raison qu'il est permis de prévoir une période plus ou moins longue de turbulence politique avec même un risque de déstabilisation du point de vue sécuritaire. Si Nidaa Tounes sort vainqueur de ce combat, il aura une large coalition autour de lui et peut même absorber tous les autres partis satellites. Selon certaines analyses politiques, cette situation laisse présager d'un retour à un paysage de parti dominant et omniprésent, ce qui réactiverait les extrémismes de droite comme de gauche, pour dénoncer un retour en arrière. Dans les faits, je pense que le retour au statut d'avant 14 janvier 2011, c'est à dire le pouvoir d'un seul homme, n'est plus envisageable en Tunisie aujourd'hui .

Par contre, si Ennahdha a une majorité parlementaire, cette victoire peut ne pas être appréciée par les mêmes extrémistes de gauche comme de droite, mais également par nos voisins immédiats. Ces derniers voient, en effet, d'un mauvais œil les islamistes installés au pouvoir en Tunisie, vu le risque de contamination. Par ailleurs, l'Europe ne souhaite pas avoir sur ses frontières un état dirigé par des islamistes qui risquent de contaminer toute la région Sud - méditerranéenne ( voir le cas de l'Égypte et la Syrie et peut-être demain la Libye) . Toutefois, cette attitude de principe peut changer de la part des Européens, si ces mêmes islamistes, à l'instar de la Turquie, sont disposés à appliquer à la lettre les principes démocratiques et conservent la profondeur stratégique européenne de l'économie Tunisienne.

- Qu' il est fort probable que le prochain gouvernement, quelque soit le résultat des élections, puisse être le fruit d'un consensus national. C'est d'ailleurs ce que préconise le chef du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, pour éviter tout risque de tensions supplémentaires et de déstabilisation après le résultat des élections qui laissera nécessairement des séquelles. Bien entendu, il est minoritaire pour le moment à pousser dans ce sens. Cependant ce sont les résultats qui décideront de l'option choisie. En tout état de cause, selon la Constitution, c'est le parti qui a le plus grand nombre de sièges au parlement qui nommera un Premier ministre pour former un gouvernement. Dans ce cas, ce sera Nidaa Tounes, ou bien Ennahdha qui désigneront un premier ministre. Dans le cas où Nidaa Tounes forme un gouvernement, le fait que Béji Caïd Essebsi soit candidat à l'élection présidentielle donnera à Nidaa Tounes la possibilité de cumuler l'exécutif et le poste de président de la République. Cette option aura le mérite de replacer la Tunisie dans les mêmes perspectives que le scénario égyptien mais à travers les urnes et non pas à travers un coup d'Etat militaire. Cette perspective connaît beaucoup d'adeptes à l'extérieur de la Tunisie, mais surtout à l'intérieur, notamment parmi les nostalgiques d'un pouvoir dominant déçus par cette période de transition, mais aussi certains libéraux, intellectuels et démocrates en panne de démocratie.

C'est pour cette raison que l'élection présidentielle du 26 novembre 2014 retrouve toute son importance à ce stade de la transition démocratique en Tunisie pour éviter tout dérapage. Cette institution et celui qui la représente, c'est à dire le président de la République, doivent être garants de cette transition vers la démocratie. Le futur président doit être un rassembleur, aux qualités humaines qui doivent rassurer tous les Tunisiens et toutes les classes politiques. Il aura pour principale tâche de réconcilier les Tunisiens avec eux mêmes et leur histoire récente et saura tout mettre en œuvre pour défendre la Constitution votée par le peuple et assurer son application. Jusque-là très peu sont les candidats qui remplissent ces conditions.

- Enfin, il existe un scénario peu probable, mais certainement non souhaitable. Il s'agit de l'échec du processus électoral en cours à cause de troubles de différentes natures, ou bien d'un fort taux d'abstention, probable mais fort préjudiciable pour ce premier exercice démocratique, ou alors la négation des résultats pour des raisons multiples. Toutes ces raisons permettront au chaos de s'installer et à un agenda islamiste pur et dur d'être mis en oeuvre, ceci confortera la position des terroristes dans la région.

Ce scénario pourrait susciter une intervention étrangère dans la zone, pour sécuriser la région et ses ressources énergétiques (voir le cas de la Libye dont le parlement élu a appelé il y a quelques jours à une intervention étrangère pour résoudre le conflit ) .
À ce propos, lors de la réunion à laquelle j'ai assisté à Genève début juin 2014 et consacrée à la réconciliation libyenne, j'ai pu mesurer l'ampleur des griefs que les différentes composantes de la société libyenne et les tribus, ont les uns contre les autres, notamment depuis la révolution. En effet les massacres survenus après février 2011, ont développé hélas une haine plus grande parmi la population, que celle supposée à l'encontre du régime de Gaddafi.

Il est important de souligner également que c'est la stabilisation de la situation en Tunisie qui permettra à la Libye de s'acheminer vers la réconciliation et la solution politique. C'est pour cette raison que si le processus électoral réussit en Tunisie, et c'est ce que nous souhaitons, il n'est pas exclu de voir des tentatives de déstabilisation de la situation viser la Tunisie, à partir de la Libye.


* Ancien Ambassadeur de Tunis et président du parti Al Mustakbal


19/09/2014 | 10:12
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