Mondher Zenaïdi, le joker caché dans la manche de Béji Caïd Essebsi
Qui, parmi les économistes sérieux, n’a pas dit et répété un jour que cela ne sert à rien d’augmenter les salaires pour améliorer le niveau de vie des Tunisiens. Que la solution pour lutter contre la précarité rampante n’est pas d’augmenter de 5% et 6% les salaires des fonctionnaires, mais de procéder à de profondes réformes structurelles et de pousser les Tunisiens à produire davantage. Que nenni ! L’UGTT, avec la vision archaïque, anachronique et communiste de plusieurs de ses puissants syndicats, a réussi à avoir le dessus et à imposer au pays des augmentations à la fois coûteuses et improductives. Ceux qui critiquent ces syndicats sont accusés systématiquement d’être des corrompus qui travaillent à la solde du FMI, des hommes d’affaires, des lobbys, de la mafia etc. Le retour de manivelle n’a pas tardé, voilà que la BCT décide d’augmenter de 1% le taux d’intérêt directeur. Il faut bien que quelqu’un paie ces augmentations obtenues par les salariés et ce quelqu’un sera inévitablement le salarié lui-même. A moins d’avoir des rentes minières ou pétrolières, il n’en sera jamais autrement. Les syndicalistes retiendront-ils la leçon ? Difficile ! Il leur faudra encore une autre génération pour comprendre que le monde a changé. D’ici là, le monde changera de nouveau vers un autre système…
Petit séisme dans le monde politique ce week-end, avec l’annonce de l’arrivée de Mondher Zenaïdi à Nidaa Tounes. Une annonce démentie par un communiqué qui ne dément rien, mais ne confirme rien non plus. Comprenne qui pourra. Une prouesse de langue de bois que seuls les experts de l’ancien régime savent accomplir. Décidément, le pays a vraiment du mal à sortir de son anachronisme.
Pour ceux qui ne connaissent pas, ont oublié ou feignent d’oublier qui est Mondher Zenaïdi, un petit rafraîchissement de mémoire s’impose.
Plusieurs fois ministre sous Ben Ali, Mondher Zenaïdi a eu des portefeuilles assez sensibles allant du Tourisme à la Santé en passant par le Commerce. Chaque fois, sa mission s’achève avec un franc succès. Mieux, là où il passe il laisse derrière lui un excellent souvenir auprès de ses collaborateurs. Contrairement à la majorité des hommes politiques, Mondher Zenaïdi a réussi à avoir une certaine unanimité autour de lui, aussi bien du côté de ses collaborateurs que ses collègues ministres ou sa « hiérarchie ».
Le plus souvent, il est aimé pour son humanisme, sa sociabilité, sa sympathie, son professionnalisme, sa rigueur, son volontarisme, son altruisme. Il est celui qui est à son bureau avant tout le monde et après tout le monde. Il est celui qui est à la fois à l’aise à Gammarth, quartier le plus huppé de Tunisie, là où il vit ou dans la ville montagnarde de Kasserine, une des régions les plus reculées de Tunisie, d’où il est originaire. Ses intimes et ses amis sur qui il peut compter sont innombrables. Ils peuvent être à Tunis, Djerba et Sousse ou à Paris, Genève, New York, Doha et Dubaï. Ils peuvent travailler à la Kasbah, Carthage, Matignon et l’Elysée ou à l’ONU, le FMI et l’OMS.
Les anecdotes le touchant ne se comptent plus. On parle encore de son coup de fil à on ne sait plus quel transitaire ou intermédiaire pour faire détourner en pleine mer la cargaison de blé d’un bateau vers la Tunisie et ce juste avant le ramadan pour éviter toute pénurie. On parle encore de ses descentes inopinées (et jamais avec caméra) dans des dépôts de grossistes et intermédiaires pour vider les réfrigérateurs et les obliger à vendre leurs marchandises et ce afin d’éviter la spéculation du prix du poivron ou des pommes de terre ou de la tomate. Qui de vous se rappelle-t-il d’une pénurie d’un médicament ou d’un vaccin quand Mondher Zenaïdi était à la Santé ?
Tout cela pour dire qu’il est aimé et populaire, qu’il a la capacité d’unir et de fédérer, en dépit de ce que peuvent conclure certains à partir de ses seuls catastrophiques résultats aux élections de 2014 qui se sont déroulées sous le seul et unique slogan fédérateur du « vote utile ».
Mondher Zenaïdi était le remède efficace, mais son efficacité est hélas limitée. Comme beaucoup d’autres ministres de Ben Ali, le ministre ne pouvait imposer son autorité que dans un système qui tourne normalement, même s’il est grippé ou légèrement rouillé. Huit ans après la révolution, la machine est cassée à plusieurs endroits et a du mal à tourner. Face à un tel tacot, Mondher Zenaïdi saura-t-il faire preuve de la même efficacité ? Aujourd’hui, le doute est permis.
Avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Si Mondher Zenaïdi avait occupé en janvier 2015 la présidence du gouvernement, à la place de Habib Essid, il aurait pu sauver la machine. On ne la retrouverait pas dans cet état en tout cas. Les choses sont ce qu’elles sont cependant, voilà que le nom de Mondher Zenaïdi est de nouveau cité.
On le dit secrétaire général de Nidaa Tounes et, en dépit de son vrai faux démenti de samedi dernier, on sera fixés dès cette semaine au retour de Béji Caïd Essebsi de Genève.
Sur un plan strictement théorique, la venue de Mondher Zenaïdi est une bonne chose pour le camp laïque et moderniste. Pour bien vivre la démocratie, il n’est pas plus mal que ce camp ait plus d’un candidat face au parti de Youssef Chahed, celui qui apparait avoir le plus de chances aujourd’hui, même si le camp d’en face (les islamistes) est encore sous le régime du parti unique. Le rêve est que ce camp obtienne les deux-trois premières places aux législatives, reléguant les islamistes à la 4ème place, alors qu’ils devraient maintenant obtenir la première. A la présidentielle, une finale Mondher Zenaïdi – Youssef Chahed est tout le mal qu’on pourrait souhaiter à la Tunisie. Bien sûr, il est permis de rêver, même des rêves irréalistes comme celui-ci.
Oublions les rêves et venons-en à la réalité et à l’historique des 4 dernières années qui sont, forcément, différents de ce tableau joyeux.
Nidaa Tounes est parti en vrille depuis le départ de Béji Caïd Essebsi, le 31 décembre 2014. Tous ceux qui y ont mis les pieds ou essayé d’y mettre les pieds, se sont cassé les dents. Aussi bien celui qui devait réussir les doigts dans le nez comme Mohsen Marzouk ou celui qui ne pouvait de toute façon pas réussir comme Slim Riahi en passant par l’éternel énigmatique Ridha Belhaj, ont dû abdiquer face à Hafedh Caïd Essebsi. Dans les postes subalternes, on ne compte plus les dégâts, allant de Saïd Aïdi à Youssef Chahed en passant par Selim Azzabi, Leïla Chettaoui, Boujemâa Remili et des dizaines d’autres. Les victimes sont innombrables allant de Chafik Jarraya (en prison) à Borhen Bsaïes (qui doit sa liberté à une amnistie présidentielle exceptionnelle) en passant par Slim Riahi (futur réfugié).
Que vient donc faire Mondher Zenaïdi dans ce qui est devenu un vrai panier à crabes ? S’il est possible qu’il soit plus intelligent que les autres (CQFD), il n’est pas sûr que les Caïd Essebsi père et fils lui laissent le champ libre pour faire ce qu’il veut. Au vu de l’historique récent, ils n’ont fait que tendre des pièges ces quatre dernières années. Pourquoi donc Mondher Zenaïdi échapperait-il aux pièges là où sont tombés les Mohsen Marzouk, Ridha Belhadj et Slim Riahi ?
Dans ce poste de secrétariat général qui s’offre à Mondher Zenaïdi, il y a forcément la main de Béji Caïd Essebsi. L’ancien ministre de Ben Ali va inévitablement et obligatoirement exiger le départ de Slim Riahi (déjà obtenu) et de Hafedh Caïd Essebsi (qui quittera la scène quand les poules auront des dents). Quelle sera sa mission prioritaire ? Gagner les élections ou battre Youssef Chahed ? Qu’en est-il des islamistes avec qui Béji Caïd Essebsi et Mondher Zenaïdi ont fumé le calumet de la paix en 2013 et 2014 ? Ces ex ennemis ne sont plus les premiers adversaires politiques de Nidaa ? C’est désormais Tahya Tounes qui l’est ?
Vous savez quoi ? L’arrivée de Mondher Zenaïdi va servir à diviser encore davantage le camp moderniste quoi qu’on en dise. Elle ne pourra servir qu’aux islamistes. Béji Caïd Essebsi sait très bien que son fils est incapable de réunir tout seul 5% de l’électorat moderniste. En sortant de sa manche le joker Mondher Zenaïdi, il y crée un véritable séisme et rafle large aussi bien dans le camp de Youssef que celui de Abir Moussi et Kamel Morjane. Quel que soit le résultat, ce sont les islamistes qui vont tirer avantage de cette zizanie incessante et croissante depuis quatre ans. La solution ? Unissez-vous, votre adversaire est identifié, il est dangereux et il ne vous fera pas de cadeaux cette fois quand il reviendra au pouvoir !