alexametrics
jeudi 28 mars 2024
Heure de Tunis : 19:07
Chroniques
Moncef Marzouki et les droits de l’Homme, histoire d’une récente rupture
19/11/2014 | 16:38
5 min

Par Marouen Achouri

Quand un président de la République se présente à sa propre succession lors d’une élection, il part déjà avec un certain désavantage puisqu’il a un bilan. C’est un principe connu dans toutes les démocraties. Le contexte tunisien confirme cette règle, surtout avec un président tel que Moncef Marzouki.

On nous dit souvent qu’on s’acharne sur Moncef Marzouki, que c’est un militant des droits de l’Homme, qu’on lui cherche la petite bête et qu’on cherche à nuire à sa personne. Il est vrai que Moncef Marzouki était un militant actif, mais il a arrêté de l’être une fois placé à la présidence de la République. Après avoir enlevé sa veste de militant, il a essayé d’enfiler celle de président de la République, résultat des courses : il a perdu les deux.

Un autre principe fondamental dans les démocraties : le peuple a une mémoire courte. Il faudrait beaucoup plus qu’un article pour tenter de dresser un bilan de la présidence de Moncef Marzouki. Mais prenons le seul aspect de la défense des droits puisque le président-candidat se présente comme le seul garant de leur préservation et de leur défense.

Un rapide coup d’œil sur les positions de la présidence de la République permet de comprendre que la notion des droits de l’Homme est à géométrie variable à Carthage. C’est que tous les hommes n’ont pas les mêmes droits, tout dépend des positions de ces hommes justement. Par exemple, celui qui se présente comme le disciple de Ghandi et de Mandela n'a pas bougé le doigt en faveur des figures de l’ancien régime maintenues en prison au-delà des délais légaux. N’étaient ce pas des hommes qui étaient en prison à ce moment là ? Ont-ils cessé d'être des êtres humains en ayant travaillé avec l’ancien régime ?

Peut-être que Moncef Marzouki nourrit une haine certaine vis-à-vis de ceux qui ont collaboré avec un régime qui l’a emprisonné quatre longs mois et qui l’a ensuite enfermé à Paris. Ceci justifierait que le chevalier des droits de l’Homme n’ait pas fait le moindre geste pour atténuer la souffrance d’un malade comme Ridha Grira par exemple. Mais qu’en est-il de Jabeur Mejri ?
Si Moncef Marzouki était un défenseur des droits de l’Homme, il aurait pris fait et cause pour ce pauvre bougre de Jabeur Mejri qui a été emprisonné à cause de simples dessins. Pourtant, Moncef Marzouki ne s’est pas distingué par son activisme sur ce dossier, loin de là. Pourquoi ? Jabeur Mejri n’est-il pas un être humain dont les droits doivent être défendus ? Ou peut être que son dossier n’est pas porteur en termes médiatiques et serait susceptible de fâcher ses patrons d’Ennahdha ? Rappelez-vous, il l’avait gardé en prison pour « sa propre sécurité »

D’accord laissons de côté Jabeur Mejri, après tout il est sorti de prison. Mais Maher Mannaï qui va s’en occuper ? Le président de la République ne doit-il pas être le rempart de tous les miséreux et le soutien de tous les opprimés ? Voilà une personne qui est emprisonnée pour un meurtre qu’elle n’a pas commis depuis plusieurs années, sachant que les autorités ont arrêté le vrai meurtrier ! Le gain politique n’est sans doute pas à la hauteur de l’investissement. Du coup, on fermera les yeux sur les droits de cet homme là.

Un vrai défenseur des droits de l’Homme se doit, en principe, de se soucier également des droits des journalistes et de la liberté d’expression. Pourtant, rappelez-vous du sit-in devant le siège de la télévision nationale. Des dizaines de personnes s’étaient donné le mot pour camper pendant une cinquantaine de jours devant le siège de la télévision nationale car elles n’étaient pas d’accord avec la ligne éditoriale de l’organe de presse public. Inutile ici de préciser qu’aucun des manifestants ne sait ce qu’est une ligne éditoriale. Ce qu’ils maitrisent en revanche c’est le harcèlement des journalistes à leur entrée et à leur sortie des bureaux. Quelle a été la réaction de la présidence face à ce cas manifeste d’agression de journalistes ? Rien, pour ne pas dire un soutien tacite à ce sit-in. Ce n’est pas grave de voir des journalistes agressés, ce ne sont pas les « bons » journalistes, ce sont ceux de la télévision nationale. On comprendra mieux cette posture près de deux ans plus tard quand il a qualifié la presse en général et la télévision nationale en particulier de « presse menteuse et corrompue, n’ayant pas qualité pour s’exprimer au nom des Tunisiens » lors d’un discours de campagne. Où est la défense des droits de l’Homme dans cette posture ?

Moncef Marzouki est parvenu à la présidence de la République à la faveur d’un passé de militant et grâce à un accord, bien négocié, avec ses partenaires de la troïka. Sa prestation à la présidence de la République a fini de disperser le mirage de la défense des droits de l’Homme. On pourrait également revenir sur la publication du fameux Livre noir qui comporte le nom d’un journaliste français venu l’interviewer des mois plus tard. On pourrait évoquer la position farouche en faveur du Qatar contre son propre peuple, le sit-in « Ekbess » de la Kasbah, la manifestation réprimée du 9 avril, l’utilisation de la chevrotine à Siliana etc…

Moncef Marzouki a cessé depuis longtemps d’être un défenseur des droits de l’Homme dans le sens noble et universel du terme. Le seul homme dont il défend aujourd’hui les droits c’est lui-même. Par conséquent, faire son beurre sur la défense des droits pour être réélu relève plus de l’ineptie que de la réalité. On notera qu’aucun de ses anciens compères de la défense des droits de l’Homme n’a exprimé de soutien public à sa candidature. On défendra nos droits tout seuls M. Marzouki, laissez nous juste le faire !
19/11/2014 | 16:38
5 min
sur le fil
Tous les Articles
Suivez-nous