Dans un monde qui élit l’Arabie Saoudite à la commission de « la promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes » de l’ONU, tout est absolument possible, tout est désespérément envisageable. N’en déplaise aux tenants de « l’exception tunisienne », sur cet aspect, nous sommes comme les autres.
Si vous vous ennuyez à la maison, si vous n’avez pas le cœur à vous décarcasser pour travailler et produire, si vous voulez une rente à vie et que votre modèle de société absolu est celui de la Libye de Kadhafi, rien de plus simple ! Il suffit de bloquer les routes, de vous proclamer seul propriétaire d’un bout de territoire tunisien et de demander votre rançon, qui sera un pourcentage de l’activité de l’entreprise que vous avez isolée de tout. Et en prime, vous aurez aussi la visite du chef du gouvernement qui viendra, tambours battants, s’enquérir de la situation et donner quelques pastilles. Avant, ça aurait été impossible, mais aujourd’hui ça l’est. Bloquez tout, faites du bruit et revendiquez, le chef du gouvernement viendra en personne vous écouter !
Mais l’impossible et l’impensable ne se sont pas contentés d’enfoncer les portes de la Kasbah. Les deux compères sont partout. Prenons l’exemple du gouverneur de notre Banque centrale, Chedly Ayari. Hier, il a fait étalage des mesures prises pour redresser un peu le dinar qui avait sensiblement glissé, parait-il. Et donc, il annonce l’injection de 100 millions de dollars sur le marché financier et l’augmentation du taux d’intérêt directeur de la BCT. De combien ? On ne sait pas. Quand ? On ne sait pas non plus. Quand je vous disais que tout était désespérément envisageable. Le gouverneur de la BCT annonce la modification du paramètre le plus important, probablement, de l’économie mais sans donner de détails. Heureusement que le communiqué explicatif est venu le lendemain...
Et puis il y a notre société civile. Une partie de cette société civile s’organise à coups de hashtags et de statuts Facebook pour contrer la troisième version de la loi sur la réconciliation économique. Et donc ils parlent de « troisième round » en répétant qu’ils ne « pardonneront pas » et autres mots d’ordre de militants uniquement animés par la volonté de justice et l’espoir d’un monde meilleur, évidemment. On a même vu des escrocs notoires devenir des chantres de la justice et de l’équité, mais uniquement quand il s’agit du projet de loi sur la réconciliation. Parce que la justice c’est bien, mais uniquement quand elle est appliquée aux autres. Il ne faut pas exagérer non plus. Bref, tout ça est très bien. Il y aura toujours un ministre ou un responsable qui viendra nous parler de la démocratie et de ses magnifiques illustrations en Tunisie, donc pas besoin de le faire ici. Par contre, la seule information dans tout ce bruit, c’est que personne n’a le texte de ce projet de loi. Personne ne l’a lu et on doit commencer à en parler en commission aujourd’hui même. Alors, est-ce possible de s’opposer à un texte que l’on n’a pas lu ? Apparemment oui.
Il y a aussi nos députés. Autant les anciens que les nouveaux donnent une fabuleuse image de ce qu’est la représentativité démocratique du peuple. Un ancien élu de l’ANC, signataire de la magnifique constitution tunisienne, s’est fait choper en flagrant délit de contrebande de cigarettes. Pire est sa défense : l’Etat a lâché les gros trafiquants et me poursuit moi pour quelques cartouches.
Et puis il y a le cru 2014 qu’on continue à siroter difficilement. Quand en pleine discussion sur l’amendement de la loi 52, certains élus parlent de sexe, et confondent cannabis avec GHB plus connue sous le nom de drogue du violeur et puis drogues dures, cela montre non seulement leur ignorance mais aussi le fait qu’ils ne préparent rien avant de discuter des lois. Ils viennent et laissent libre cours à leurs idées reçues et à leurs préjugés, en totale déconnexion avec le peuple et avec toute logique. Des élus qui font des lois sans même s’informer un minimum ? Et bien ça aussi c’est possible…