L'hypocrisie face aux lanceurs d'alertes
Il s’appelle Zouheïr Makhlouf, il a été élu membre de l’instance Vérité et Dignité, instance publique chargée d’assurer la justice transitionnelle dans le pays. Conscient de l’importance de sa mission, il a pris à bras-le-corps ses dossiers et il a commencé à bosser.
Comme d’autres, Zouheïr Makhlouf s’est rendu compte dès les premiers jours de la difficulté. Pas de la difficulté de la tâche, mais de celle de travailler avec celle qui a été élue-désignée présidente de l’instance en question. Elle s’appelle Sihem Ben Sedrine.
Contrairement à d’autres, il n’a pas jeté l’éponge et a refusé de démissionner. Mal lui en a pris !
On ne s’attaque pas à Sihem Ben Sedrine impunément. Devant elle, croit-elle, on s’aplatit ou on quitte. Autrement, il faut s’attendre à être accusé, sali, souillé. En bref, à laisser des plumes. Tu laisseras des plumes Zouheïr et tu seras lâché, voire lynché, par ceux-là mêmes que tu croyais intègres, propres et fidèles aux valeurs universelles.
Zouheïr Makhlouf est ce que l’on peut appeler un lanceur d’alertes. Le terme a été inventé dans les années 1990 et popularisé dans les années 2000. Selon la définition courante, la création de cette notion visait explicitement à la séparer de celles de dénonciateur (sincère) et de délateur (intéressé). Elle désigne une personne ou un groupe qui estime avoir découvert des éléments qu'il considère comme menaçants pour l'homme, la société, l'économie ou l'environnement et qui, de manière désintéressée, décide de les porter à la connaissance d'instances officielles, d'associations ou de médias, parfois contre l'avis de sa hiérarchie.
Parmi les affaires de lancement d’alertes les plus célèbres, on peut citer LuxLeaks, WikiLeaks, Panama Papers... Quant aux lanceurs d’alertes les plus célèbres, on peut citer Julian Assange, Vaclav Havel (devenu président par la suite), Edward Snowden…
Quand le scandale des Panama Papers a éclaté, les autorités tunisiennes et l’opposition ont réagi en chœur pour dire qu’ils sont là pour instruire, poursuivre et punir tout individu dont le nom figurera dans ces documents. Même des personnalités réputées sages et posées, ont cédé à l’ambiance générale en jurant leurs grands dieux de poursuivre les sales corrompus qui dilapident les deniers publics. Il n’y avait même pas de preuve ou de semblant de preuve de compromission. Peu importe, l’essentiel est que l’on donne l’image des intègres anti-corruption. Juste l’image, ça suffit.
Mais quand Zouheïr Makhlouf a dénoncé ce qu’il a appelé malversations de Sihem Ben Sedrine, personne n’a réagi parmi ces représentants des autorités, des pouvoirs publics, de l’opposition et des ONG. Pourquoi réagit-on à de simples déclarations de suspicions de malversations contenues dans les Panama Papers et ne réagit-on pas à des témoignages prouvés d’un membre élu de la nation ?
En représailles à ses dénonciations (et il s’agit bien de dénonciation sincère et non de délation) et comme il n’a pas voulu démissionner comme quatre de ses anciens collègues-élus, Zouheïr Makhlouf fut immédiatement éjecté de l’IVD, juste après ses déclarations. Ce ne sera que le hors d’œuvre. Il aura droit ensuite aux lynchages ordinaires sur la scène publique et à un procès au pénal en bonne et due forme en guise de plat principal. Pour le dessert, on verra plus tard.
Les intègres, propres, anti-corruption et anti-malversations s’inscrivirent tous aux abonnés absents. Zouheïr Makhlouf, tu es tout seul ! Il saisira donc seul la justice, sans l’assistance de ces avocats et ces ONG propres, intègres, anti-corruption, pro-transparence et tout le tralala. La justice lui donne raison, mais la Ben Sedrine ne se laisse pas impressionner pour autant. La justice, elle n’en a cure, comme le démontre son communiqué laconique dans lequel elle déclare qu’il y a impossibilité effective d’appliquer la décision de justice.
Zouheïr Makhlouf n’est pas le premier à jouer aux lanceurs d’alerte concernant Sihem Ben Sedrine et son intégrité. Avant lui, il y avait Noura Borsali et Khemais Chammari. Il y a ceux qui ont préféré démissionner avec un silence assourdissant à l’instar du juge Mohamed Ayadi ou de Azouz Chaouali. Ceux là auront droit à une clémence (provisoire). Mais gare à ceux qui jouent aux lanceurs d’alertes et lui résistent publiquement à l’instar des journalistes de Kalima, des syndicats de la garde présidentielle ou encore de Business News.
Le sujet d’actualité du moment et de la période à venir est cette loi de la réconciliation nationale. Tous ceux qui s’opposent à cette loi évoquent le processus de la justice transitionnelle et la nécessité de laisser l’instance Vérité et Dignité accomplir sa mission.
Or comment peut-on continuer à faire confiance à cette instance de justice quand on voit que sa présidente multiplie les actes d’intimidation à l’encontre de ses contradicteurs, méprise les décisions de justice de l’Etat et tente de bâillonner la presse ?
Quelle crédibilité lui donner quand on voit que des membres de cette instance reçoivent un ancien ministre devant les caméras et avec les honneurs, alors que d’autres victimes sont reçues dans un camion ? Ce même ancien ministre qui ne cesse de trainer les casseroles les unes derrière les autres, tout en continuant à jouer sa comédie de victime de la dictature !
Ironie du sort, Chawki Tabib quand il était à la tête de l’Ordre des avocats, a été celui qui a barré la route à cet individu pour rejoindre la profession, parce qu’il connait parfaitement ses dossiers. Le même Chawki Tabib qui réagit au quart de tour pour les Panama Papers devient totalement muet quand il s’agit de Sihem Ben Sedrine, en dépit de ce qu’il sait et en dépit des preuves irréfutables présentées par Zouheïr Makhlouf, les journalistes de Kalima, Business News, Noura Borsali et plein d’autres.
Vous ne voulez pas de la loi de la réconciliation ? Proposez une solution crédible à la place !
Vous voulez une justice transitionnelle ? Proposez à sa tête des gens propres et intègres qui respectent les juges et la justice !