Liberté de conscience ? Trêve de balivernes !
« La Tunisie est un exemple de liberté de croyance et de conscience, des valeurs de tolérance et du rejet de l’extrémisme ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le chef du gouvernement et certains ambassadeurs de chancelleries étrangères à l’occasion du pèlerinage de la Ghriba.
Permettez-moi de mettre en doute vos jolies paroles. On ne cesse de vanter cette Tunisie terre de tolérance et d’ouverture sur les autres cultes. Chaque année, on a droit aux mêmes déclarations dans le sillage du pèlerinage juif. Tout cela est bien beau, mais il ne s’agit que d’une image de carte postale. La vérité est tout autre. Comme le dit si bien le dicton tunisien, ne cachons pas le soleil par un tamis !
La vedette incontournable, du pèlerinage de la Ghriba (l’une des plus vieilles synagogues dans le monde en passant) a été le ministre du Tourisme, René Trabelsi. Sur tous les fronts, il s’est fixé pour objectif de faire réussir l’événement. Pari réussi donc pour un responsable qui mouille la chemise pour son pays. Sauf que ce responsable est de confession juive et pour cela il est considéré comme un citoyen de seconde zone. Tout Tunisien peut se porter candidat à la présidentielle, il s’agit d’un droit disposé dans « la meilleure constitution du monde ». Toutefois, il existe un petit hic. On a beau être de nationalité tunisienne par la naissance, si on n’est pas de confession musulmane, pas la peine d’y penser. Et cette discrimination touche essentiellement les citoyens juifs, parce que du moment qu’une personne est née de parents supposés être musulmans, elle ne sera que définie comme telle. Par la force des choses, un potentiel candidat pourrait être bouddhiste, agnostique ou baha'i (peu importe) s’il est estampillé musulman de par sa naissance. Discrimination Level God.
Au moment-même où notre jeune chef du gouvernement nous parle de liberté de conscience et tout le toutim, nous sommes en plein ramadan. Et quand on dit ramadan, il faut comprendre intolérance Level God (aussi). Chaque année, c’est la même rengaine, la même galère pour les non-jeûneurs qu’ils soient musulmans ou non, il faut le préciser. Interdire, s’immiscer dans la vie personnelle des autres, limiter leurs libertés, leur imposer par la force les convictions de la majorité est la norme en ce mois saint. L’universitaire Abdelmajid Jemal en a fait les frais la semaine dernière, interpellé par un policier dans un café à Sfax. Siroter tranquillement un café pendant la journée pourrait vous amener à faire connaissance avec l’arme d’un agent. Attention !
Alors, oui les non-jeûneurs ne sont pas arrêtés comme cela se fait sous d’autres cieux. Cependant, ils sont intimidés par des contrôles d’identité devenus omniprésents dans les cafés ouverts en journée. Les non-jeûneurs sont obligés de se passer des tuyaux sur les endroits susceptibles de les accueillir durant les heures de prohibition. Ils sont obligés de se cacher comme des criminels, de peur d’offenser les pauvres croyants.
La Tunisie, exemple de liberté de conscience vous dites ? Hypocrisie de toute une classe politique oui ! Si chaque citoyen est libre de pratiquer ou non ses croyances selon notre constitution, si la Tunisie est un Etat civil, pourquoi donc les cafés et autres restaurants se transforment en kiosques à journaux pour cacher « les crimes » des non-jeûneurs ? S’installer en terrasse avec son verre serait outrage suprême ! Pourquoi un propriétaire de café à Kairouan, harcelé par le voisinage et les policiers, pour avoir ouvert son commerce, avait-il été arrêté ? Pour quelle raison les resto-bars refusent de servir les Tunisiens ? Et les caves d’alcool qui ferment leurs portes à la veille de ramadan et qui les ouvrent tout juste après, on en parle ?
Une schizophrénie qui se manifeste dans la formulation de l’article 6 de la constitution qui donne à l’Etat le rôle de gardien de la religion (l’islam étant inscrit dans l’article 1er, ce rôle est-il vraiment étendu à pied d’égalité avec les autres croyances ou non-croyances ? ). L’Etat est aussi le garant de la liberté du culte et a l’obligation d’interdire l’atteinte au sacré. Une notion assez vague et dont les contours n’ont pas clairement été définis. Ce qui donne lieu à toutes sortes d’interprétations et d’agissements liberticides en conséquence.
Alors trêve de balivernes et que le double langage cesse une bonne fois pour toute, parce qu’on en a amassé des montagnes. Des lois, des circulaires ou des notes internes qui assoient l’intolérance, il en existe et des tas. Et quid du Code des libertés individuelles ? Aux dernières nouvelles, il prend la poussière dans les tiroirs. Vanter cette Tunisie terre de liberté de conscience, etc., n’est que pur simulacre.