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Chroniques
Les politiques et le tabou de la santé
20/12/2014 | 15:59
4 min

Par Synda TAJINE

Depuis le début de la campagne, on n’a eu cesse d’appeler les deux candidats finalistes au second tour de la présidentielle à présenter un certificat médical attestant de leur état de santé. En vain. Si Moncef Marzouki en a présenté un, incomplet, de l’avis de ses détracteurs, Béji Caïd Essebsi a passé cet appel sous silence. A ce jour, et alors que le scrutin tant attendu se tient demain, l’opinion publique n’en sait pas plus sur l’état de santé des deux présidentiables. Elle n’en saura peut être jamais rien.
Alors que le candidat Marzouki a été, à maintes reprises, raillé pour son état de santé mental « défaillant », de l’avis non seulement de ses détracteurs mais aussi de nombre de ses anciens compagnons de route, le certificat qu’il a présenté ne mentionnait rien de tel. Examen cardiovasculaire, biologique, électro-cardiographique, radio du thorax et échographie. Tout était en ordre. Mais ce n’était certainement pas cela qui intéressait les observateurs. L’examen psychiatrique a été, quant à lui, complètement zappé du tableau. Son rival de son côté, n’en a eu que faire et n’a pas donné suite.

Mais si l’opinion publique s’est permise une telle intrusion dans la vie privée des deux présidentiables, c’est qu’un tel certificat pourrait définir si l’état de santé de chacun d’eux lui permet d’assurer ses fonctions, une fois à la magistrature suprême.
En politique, la frontière est mince entre respect du secret médical et droit de savoir. La Constitution tunisienne stipule que le président de la République doit être tunisien de naissance, de confession musulmane et avoir, au minimum, 35 ans accomplis lors de son accès au poste. Rien donc sur son état de santé. Les finalistes à la présidentielle ne sont nullement tenus de se déclarer sur leurs états de santé à l’opinion publique. Il s’agit cependant d’une disposition morale, vis-à-vis de leurs électeurs.

Alors que certaines nations privilégient une totale opacité, dans les pays anglo-saxons en revanche, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, les bobos présidentiels relèvent du domaine public. En France, cependant, le président de la République et son cabinet ont toujours été libres de décider, ou non, d’être transparents sur leur état de santé. S’en suit une tradition présidentielle, purement française, d’ « omettre » délibérément de présenter son dossier médical, ou pire, de mentir sur ses éventuels travers. François Mitterrand avait publié un faux certificat, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont promis une certaine régularité mais n’ont pas tenu parole.
En Tunisie, peu de traditions existent en la matière. Le pays n’ayant connu que deux présidents avant la nomination de Moncef Marzouki en 2011 : Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali. Aucune transparence n’est à attendre des deux. Marzouki en revanche, a sauté sur l’occasion et a publié le sien, cédant aux pressions. Mais rien de ce qu’il a publié n’a pu clouer le bec à l’adversaire. Loin s’en faut ! Les appels à un certificat de « santé mentale », n’ont pas cessé.

Cette vague de la santé présidentielle a aussi eu sa place au sein de la campagne électorale. A coup d’affiches interposées les coups les plus bas ont été tirés par les deux protagonistes.

« Viens jouer au foot », disait Moncef Marzouki, langue tirée, à son ennemi juré, sur une affiche électorale. Le jeune candidat CPRiste de 69 ans, qui s’était dégourdi ses jambes ankylosées de l’exercice présidentiel, le temps d’un match de foot de campagne, a tancé son adversaire, un peu moins jeune, de 89 ans. Force est de reconnaître que ce tabou de l’âge a été l’un des grands arguments de cette campagne, où les slogans n’ont pas toujours volé très haut. Manifestations à coups de couches culottes, slogans incendiaires dénigrant l’âge du rival, rien n’est épargné pour rappeler cet argument de taille qui sépare les deux candidats.

« Faut-il informer le peuple et le monde de la santé du chef de l'Etat? C'est une question à laquelle il n'y a pas de réponse simple » répondit François Mitterrand sur cette fameuse question qui lui a été posée après que son cancer ait été rendu public. Cette question est, en effet, loin d’être simple. Une totale transparence au sujet de l’état de santé des dirigeants est-elle chose utile ? Comment un simple certificat médical peut-il déterminer si un président est capable, ou non, de diriger un pays ?
« Si le président est notoirement malade, comment l'Etat serait-il indemne? », s’interroge le philosophe français Comte-Sponville André dans « la santé des Grands ». Les puissants de ce monde, ou à défaut, les hommes politiques, sont adulés, craints, admirés et enviés. Pour pouvoir les recadrer et les faire échoir de leur piédestal, on cherche les détails qui les rappellent à leur condition humaine. Leur dossier médical, ce document précieux, nous rappelle que, malgré tous leurs efforts pour faire croire qu’ils sont éternels, ils restent humains après tout. « Les puissants sont faibles, puisqu’ils sont humains, puisqu’ils sont mortels […] leur disparition crée l'événement, même quand leur vie, depuis plus ou moins longtemps, avait cessé de le faire », écrit le philosophe.

Mais même si cette transparence est respectée, même si les politiques occultent une telle « obligation », rien n’empêche les rumeurs et les supputations d’aller bon train. Un président malade s’expose à devenir politiquement faible, affaiblir l’Etat qu’il dirige ou, à défaut, mettre en péril sa course vers le poste convoité.
En Tunisie les jeux sont déjà faits, ou presque. Demain, tout sera joué et les Tunisiens éliront celui, mortel, qui les représentera à la magistrature suprême. Demain, nombreux crieront : « Le roi est mort, vive le roi ! ».
20/12/2014 | 15:59
4 min
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Commentaires (9) Commenter
Tajine lahlou
maamar
| 26-12-2014 10:35
Dr Marzouki est un tout petit peu vraiment très petit petit peu plus jeune que l'autre candidat. Les jambes ankylosées du Dr n'inspirent rien de bon puisque celles de son concurrent sont magnifiquement cachées par un un teint doré de séduisant beldi , y a pas à dire lorsque le gagne pain est mélangé à d'autres considérations le tajine devient fade.
Une affaire d'Etat et d'institutions
El Barmeki
| 21-12-2014 10:15
Oui un dossier médical est nécessaire encore faut il le réglementer pour éviter les dérobades louches. De toutes les manières les lois les plus précises sont superflues. Il en est de même des usages les plus répandus. Vous rappelez Mitterand, mais souvenez vous de Roosevelt, de Pompidou et de Reagan qui prenait sa somme au conseil des ministres. Sans oublier Hitler et d'autres dont le comportement politique s'apparente à celui des aliénés mentaux mais qui gouvernent encore dans des pays dits démocratique Alors sachons que tant que l'État est fort et les institutions solides le dossier médical est utile mais non indispensable. Le législateur en déciderait!
Morbide
Ahmed Rami
| 21-12-2014 00:36
Une chronique morbide. Vous reconnaissez que même dans des pays aux grandes traditions en matière de démocratie et de transparence, le dossier médical n'est pas exigé. Pourquoi alors l'exiger en Tunisie, un pays qui fait ses premiers pas dans ces domaines ?
Et puis, je vois que vous faites le jeu des CPRistes qui ont axé toute leur campagne sur l'état de santé et l'age de leur concurrent qui, soit dit en passant, n'a pas 89 ans, mais 88. En journalisme la précision, l'exactitude et l'honnêteté intellectuelle sont exigées.
Et encore, même une personne jeune peut succomber à tout moment soit dans un accident de la route, soit par un arrêt cardiaque, soit pour toute autre cause (la vie ou la mort sont entre les mains de Dieu comme on dit).
A la veille du scrutin, au lieu d'être positive et constructive, en appelant, par exemple au vote ou en appelant les divers candidats à être sincères et à la hauteur de leurs promesses, vous trouvez le moyen de traiter de cancer et de maladies mentales.. Bref de choses sordides et morbides..
Allons voter.. Et chaque chose en son temps...
marzouki est malade !!!!!
nazou
| 20-12-2014 22:01
tellement malade ,qu'il a réussi a faire oublié ,qu'il est hors la loi !!!
Oui ;il possede la double voir la triple nationalité !!!
Santé!
zzman
| 20-12-2014 20:32
Il n'est rien de plus précieux pour nous que nos enfants. On les confit volontiers à nos grand-parents dont la santé physique est souvent frileuse, tant qu'ils font preuve de lucidité.
Question de confiance et d'amour, aussi.
Il en va de même pour la patrie.
Hélas, il n'existe pas de certificat en patriotisme, ni en amour d'ailleurs. Sinon au pif!
constitution esemplaire
majorité silencieuse
| 20-12-2014 19:20
Notre constitution, qui a vu le jour après trois longues années et que tous les pays du monde nous envies, n'a t elle rien prévu en cas de défaillance du chef de l'état ? A t elle été aussi négligente que pour le soit disant risque de retour à la dictature ? Je ne peux l'admettre. Nous aurait on menti ? Non notre constitution est un EXEMPLE, un MODEL de démocratie pour les pays aspirant à la liberté.
vous allez aux urnes??
salahtataouine
| 20-12-2014 19:08
une lecture en route ...............

http://russeurope.hypotheses.org/3174


***La souveraineté à l'épreuve de la laïcité***
L'histoire: Un etrenel recommencement !
Ben
| 20-12-2014 18:38
L'état de santé physique ou mental de nos élus, notamment, ceux se portant candidats à la magistrature suprême, relève du domaine public. Aussi, est-il une certitude que ce public doit être tenu informé de l'état de santé de son candidat.
Ce devoir est d'autant plus patent, en Tunisie, que le pays a souffert d'une fin de règne terrible sous le règne de Bourguiba puis de celui de Ben Ali, sur lequel sa femme tout autant que sa belle-famille auraient, d'après les confidences de certains de ses conseillers, dans une large mesure, pris le dessus, justement, à cause de sa maladie chronique le rendant tributaire de différents calmants affectant sa lucidité.
Ceci est une réalité, Madame Synda TAJINE en a parlé amplement, avec toute l'éloquence et le tact qui ne lui sont pas étrangers, mais fort est de constater que ce débat se devait, de même, être abordé, pour mesurer sa gravité, sous un autre angle à savoir celui des parties prenantes.
-De parties prenantes, il y a lieu d'entendre, les figures et personnalités venues défendre, sans gêne aucune, sur les plateaux de télévision et antennes de radios, l'une ou l'autre des thèses avancées, mettant à profit leurs arguments, des plus fallacieux, pour méconnaitre totalement le droit du peuple à s'enquérir de l'état de santé de ses élus ou pour le limiter à l'état physique en dehors de tout bilan mental.
À entendre, sur le plateau d'ETTOUNISSIA, des militants tels que Mohamed Abbou et Ayachi Hammami, user de tous les subterfuges à même d'occulter la réalité de l'état de santé mentale, , bien grave, du candidat Moncef MARZOUKI à la présidence de la république, il y a lieu de se demander si ces figures sont différentes des anciens conseillers de Ben Ali et de ces courtisans faisant tout pour défendre toutes les choses indéfendables dont les amendements constitutionnels qui avaient mené le pays à la dérive et leur auteur et sa famille vers l'exil.
-De parties prenantes, il y a lieu, de même, d'entendre les candidats eux-mêmes, souvent poussés, vers l'arène du combat pour le pouvoir, par des conseillers et des courtisans à l'affût de préserver des privilèges, le plus souvent non mérités, qu'ils avaient acquis avec eux.
Ces conseillers et courtisans, agissant le plus souvent par intérêt, quitteront le bateau et traiteront leurs maitres de tous les maux à la première bataille jugée perdue et le malheureux se retrouvera tout seul au milieu de la dérive qu'il vivra dans la solitude la plus absolue, parce qu'il n'a pas su s'entourer de gens qui lui résistent, comme disait le général DEGAULLE, des gens qui lui disent des vérités qu'ils faut faire entendre en temps utile et non quand c'est déjà trop tard.
L'histoire ne serait-elle pas, au vue des spectacles désolants auxquels on assiste, un éternel recommencement ? N'aurait-on pas pris de nouvelles personnes pour refaire la même chose, les mêmes erreurs et vivre les mêmes dérapages ?
Il n y a que les faibles d'esprit sinon le gens qui souffrent d'un déficit mental qui n'apprennent pas des leçons de l'histoire.
UNE TRÈS BONNE RÉFLEXION
3ABROUD
| 20-12-2014 17:37
La déclaration de l'état de santé d'un candidat à la présidence doit devenir une tradition, chez nous. Si cette fois-ci nous sommes tombés sur une personne coriace, en 219, le peuple VOUDRA...