Les errements de Monsieur Bhiri
Par Houcine Ben Achour
L’humoriste Pierre Dac a eu cette formule sibylline à l’égard des péroreurs en tout genre : parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir. Chez nous, nous sommes plus polis et nous conseillons, à la place, de faire tourner sa langue dans sa bouche 7 fois avant de parler.
Noureddine Bhiri, président du Bloc parlementaire d’Ennahdha à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et anciennement ministre de la Justice sous la Troïka, ne semble pas s’être soumis à cette noble vertu du silence qu’on on doute ou qu’on ignore. Il s'est fendu, en effet, d’une déclaration à travers laquelle il s’interroge de façon alarmante jusqu’à interpeller le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) sur les raisons de la détérioration continue du taux de change parallèlement à celle du stock de devises du pays alors que « les recettes du tourisme et des exportations agricoles et agroalimentaires ont nettement augmenté ». M. Bhiri considérerait-il ces deux performances comme la panacée aux problèmes des finances extérieurs du pays ? Stupéfiant !
Le chef du bloc parlementaire d’Ennahdha ne semble pas savoir que les prouesses réalisées par le secteur agricole et agro-industriel n’ont pas suffit à alléger le déficit de la balance commerciale dont le montant dépasse 8,2 milliards de dinars au cours du 1er semestre 2018 contre 7,5 milliards en 2017. Certes, l’effet de change a contribué au creusement de ce déficit, mais il n’explique pas tout dès lors que nos importations en volume et non en valeurs ont continué de croître d’une année à l’autre, même si le rythme de cette hausse a été inférieur à celui des exportations en volume. En tout cas, ce déficit commercial ne pourra être comblé ni par le surcroît des recettes, ni par le transfert des Tunisiens résidents à l’étranger, ni par le solde net des opérations en capital. A la fin du mois de mai, le déficit des paiements courants avec l’extérieur atteignait déjà près de 4.900 MD. Un niveau qui est inférieur au 5.200 MD enregistré au cours de la même période en 2017. C’est déjà cela de gagné. Mais cela demeure encore insuffisant car il faudra bien financer ce déficit.
D’ailleurs, M. Bhiri ne peut pas ne pas savoir que pour réaliser les objectifs macroéconomiques fixés pour 2018 – une croissance économique de 3%, une réduction du déficit budgétaire à 5,2% du PIB et des paiements extérieurs à 9,2%, une stabilisation du service de la dette à 16% et une stabilisation de l’inflation autour de 7%, - nécessiteraient des besoins de financement extérieur de plus de 5,8 milliards de dollars, hors dette de court terme. Qu’au total et si tous les objectifs sont atteints, il faudra piocher quelques 644 millions de dollars sur le stock de devises du pays, compte tenu d’un plafond de mobilisation de ressources extérieures de l’ordre 4,5 milliards de dollars et un recours, le cas échéant, aux avoirs extérieurs nets des banques commerciales pour une valeur de 1,3 milliard de dollars. Les 644 millions de dollars équivalent à environ 1.340 MD. A la fin juin 2018, les réserves en devises ont diminué d’environ 800 MD par rapport au début de l’année à quelques 12,4 milliards de dinars. Une levée d’emprunt de 1,5 milliard de dollars sur le marché international permettrait de reconstituer les réserves à 6 milliards de dollars et environ 3,4 mois d’importations contre deux mois et demi actuellement. C’est dans ces conditions d’ailleurs que l’on pourrait envisager une stabilisation du taux de change.
Tout cela, M. Bhiri ne le savait-il pas ? Si tel est le cas, il devrait se taire quand il parle...
Nouvelle couche…