Le « miracle » économique est-il encore possible ?
Par Houcine Ben Achour
Mustapha Kamel Nabli a intitulé son récent livre, « J’y crois toujours, au-delà de la débâcle…une Tunisie prospère ». Pour ceux qui le connaissent, l’ancien ministre du Développement et ex-Gouverneur de la Banque centrale n’est pas habituellement d’humeur optimiste. Trop avare en la matière. Et quand bien même, cette conviction serait la sienne, il ne peut s’empêcher de l’accompagner de conditions, et non des moindres.
A lui seul, le titre du livre en fait foi ou plutôt les points de suspension utilisés dans le titre. C’est ce vide de phrase qui est la clef du livre. Le contenu du livre et surtout sa troisième partie comble cette espace vide et suggestif du titre. Une troisième partie qui tente de répondre à 3 questions « Et maintenant ? Quels risques ? Que faire… ?» Les points de suspension contenus dans la troisième interrogation déroulent en fait les conditions qui doivent être réunies pour une Tunisie prospère. Des conditions qui sont, au demeurant, autant de compromis à accepter, de sacrifices à consentir et de souffrances à subir.
C’est à cette aune qu’il convient de mesurer l’optimisme de l’ancien Economiste en chef du Département Moyen orient et Afrique du nord de la Banque mondiale. Celle-ci n’est pas aussi importante que ne le suggère d’ailleurs le titre du livre dans la mesure où il considère qu’une sortie rapide et durable de la crise tient du « miracle » même si elle demeure « possible ». Miracle car il « dépend de l’humain, de sa volonté et de sa détermination ». Miracle parce qu’il « faut réunir les conditions politiques qui permettent l’émergence d’un gouvernement capable de réaliser la conception et la mise en œuvre d’un vrai programme cohérent de sortie de crise ». Miracle en raison de la nécessité d’élaborer un « Pacte fondamental » ou une « Constitution économique et sociale ». N’y a-t-il pas là déjà trop de miracles à accomplir ?
Cela demeure toujours possible, à condition de satisfaire au moins 4 pré-requis : résoudre les problèmes de disfonctionnements politiques nés d’une constitution hybride, d’un système électoral qui ne permet pas de dégager des majorités claires ; lancer des actions concrètes reflétant un engagement fort d’une part dans la lutte contre la corruption et la fraude et d’autre part dans la poursuite de justice sociale ; mettre en place un Pacte social entre les partenaires sociaux et l’Etat permettant d’ancrer la stabilité sociale ; enfin, mettre en œuvre un plan d’action contre l’exclusion qui ciblent les régions défavorisées.
Ce n’est qu’une fois satisfaits ces pré-requis que l’on peut envisager un plan d’action en trois axes à temporalité variable qui viseraient « un retour rapide des secteurs sinistrés à leurs activités normales ; la maîtrise et le rééquilibrage des finances publiques et le retour de l’investissement privé intérieur et extérieur à un rythme soutenu, susceptible de porter la croissance ». Quant aux réformes structurelles, les plus urgentes résident dans la réforme des Caisses sociales, celle qui intéresse la politique de subvention et celle qui concerne la gestion, le fonctionnement et le financement des entreprises publiques. Dans tous les cas, « des sacrifices doivent être consentis par « les inclus » en faveur des « exclus » ». Sinon, au mieux le pays continuera de patauger et au pire s’enlisera davantage dans la crise.
Alors, ce miracle est-il possible ? Oui, si le miracle de l’humain se réalise. Or, quel est l’homme ou la femme politique qui osera braver autant de défis et sortir indemne des contestations et autres détestations pour entrer dans l’histoire ? Un prétendant, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, s’y est essayé, mercredi dernier. Cela ne peut suffire à octroyer quitus. Faire des contingences actuelles (Ramadan, examen, saison touristique….) des priorités ne peut qu’aller de soit. Rendre compte du programme de travail du gouvernement au cours des prochains mois, aussi.
En revanche, en prenant le risque de mettre en parallèle ses priorités avec les priorités supposées d’une partie de la classe politique qui cherche d’ores et déjà à se différencier du gouvernement dans la perspective des prochaines échéances électorales, par un discours et des promesses clientélistes, le chef du gouvernement s’invite tout autant à ce processus. Car, les priorités annoncées par le chef du gouvernement s’inscrivent, quoi qu’on dise, dans la perspective des prochaines élections présidentielle et parlementaires. Elles participent d’un bilan qui autorise à solliciter un nouveau bail. Mais cela, Youssef Chahed n’en a cure. Tout autant qu’il tait les priorités qui fâchent.