Le prochain chef du gouvernement : Un homme providentiel ou un homme de la situation ?
Maintenant que le chef du gouvernement Habib Essid a décidé de partir, la recherche d’un remplaçant risque d’être dure, longue et incertaine. Mais que cherche-t-on au juste ? Un homme providentiel compte tenu des défis multiples qui s’érigent devant le pays, ou tout simplement un homme de la situation ?
Disons le tout de suite, la providence est un concept totalement subjectif qui puise sa force non du réel mais d’une croyance et d’une religiosité primaire. L’homme providentiel n’existe pas. Il le devient par un subterfuge maléfique qui utilise les acquis du réel mélangés à une spiritualité ancestrale.
Dans notre histoire moderne, Bourguiba ainsi que Farhat Hached sont communément considérés comme étant des hommes providentiels. Ils ont acquis ce statut, à leur insu, du moins au départ, pour répondre à un besoin sociétal du moment. Mais en réalité, ils n’étaient que les hommes de la situation dont les qualités essentielles étaient la connaissance approfondie de leur environnement, un courage certain, des objectifs clairs et une grande intelligence politique. Pour avoir réunis toutes ces qualités, Bourguiba est devenu le leader du mouvement national et Hached le leader incontesté du mouvement syndical et social. Depuis, le pays peine à trouver des hommes de la situation.
Après la révolution, plusieurs se sont crus providentiels. Certains ont vite déchanté. D’autres se sont cramponnés à leurs chimères au point de devenir ridicules. Parmi eux, deux donnent une image caricaturale de ce mythe d’homme politique providentiel. Le premier est Hammadi Jebali, ancien dirigeant d’Ennahdha et ancien chef du gouvernement. Au lendemain des élections du 23 octobre 2011, il s’est cru réellement investi d’un pouvoir céleste et, dans un moment de transe populaire, s’est déclaré le sixième calife. Aujourd’hui, il est totalement évincé des affaires publiques. Il lui reste toutefois ses propres affaires pour s’occuper et renflouer ses comptes. Le second est bien entendu l’ancien président provisoire de la république Moncef Marzouki. Il était tellement obnubilé par sa « bonne étoile » et accroché à son rêve de devenir président, qu’il en a perdu ses lunettes et son portable à la Kasbah et à Sidi Bouzid ainsi que sa dignité à l’occasion de l’affaire Baghdadi Mahmoudi. Aujourd’hui, il est plus troubadour et agitateur public qu’homme politique dans le sens conventionnel du terme.
Habib Essid aurait pu être l’homme de la situation, comme l’ont été avant lui, dans une certaine mesure Béji Caid Essebsi en 2011 et, dans une mesure moindre Mehdi Jomâa en 2014. Mais il avait deux grands handicapes pour pouvoir réussir. Le premier c’est ce manque de détermination qui fait qu’il a été dès le départ incapable de faire le point de la situation de peur de faire la lumière sur le bilan catastrophique de la Troïka. Il est vrai que Habib Essid s’est trouvé un peu l’otage d’une situation politique hybride et d’une alliance contre nature entre le Nidaa et Ennahdha. Il s’est ensuite résigné à subir les soubresauts des rapports entre les partis de la coalition gouvernementale et les secousses de la crise interne du parti majoritaire. Son second handicape est de ne pas avoir de programme défini ni des objectifs clairs. Du coup, au lieu d’être le chef d’un gouvernement de réformes, il a été tout au plus l’animateur d’un gouvernement de gestion des affaires courantes qui peine à maitriser ses collaborateurs qui donnaient l’impression, pour certains du moins, d’être des roitelets et non des ministres solidaires au sein d’un même gouvernement.
Aujourd’hui, penser à reconduire des ministres du gouvernement Essid au sein du prochain gouvernement « d’union nationale » serait une grave erreur politique et éthique. L’échec de l’actuel chef du gouvernement est aussi un échec collectif. Leur présence au sein du prochain gouvernement portera les stigmates de son échec, d’autant plus que nul entre eux ne semble être un « homme providentiel ».