Le plus dur reste à venir !
L’Histoire des nations vivantes s’écrit avec des hésitations, des bégaiements, des peurs, des frustrations, des régressions et des avancées. Imaginez un bébé qui apprend à marcher sur ses jambes encore fragiles et incertaines, tombe, se redresse, pleure, hésite et recommence jusqu’à ce qu’il maîtrise ses pas et affermit sa démarche. C’est ainsi qu’on peut décrire cette Tunisie et son processus démocratique qui tant bien que mal avance, certes avec hésitation et crainte, mais aussi avec l’envie d’espérer.
Maintenant que les différentes échéances électorales sont terminées, il est peut-être temps de commencer à faire un bilan provisoire qu’il faudrait affiner pendant les mois, voire, les années à venir.
Le constat politique : nous avons vécu la consécration de l’idée de la RUPTURE sans laquelle il ne peut y avoir de changement de paradigme. Le mérite revient à cette intelligence instinctive d’un peuple et surtout d’une jeunesse qui aspire à rompre avec un système qui a perduré pendant plus de soixante années durant lesquelles on a vu la même « caste » gouverner et utiliser les mêmes méthodes sans se soucier des va-nu-pieds et de la lame profonde qui traverse à la fois le conscient et l’inconscient collectif. Rupture qui a balayé tous ceux qui s’accrochent au système et ses vieilles méthodes et dont les objectifs n’ont pas varié depuis des années à savoir, tromper les gens et servir les intérêts personnels et partisans.
Ce temps-là et ses méthodes-là sont, je l’espère, désormais révolus.
Le danger : la rupture est porteuse d’espoir et de romantisme sur les lendemains qui chantent. Mais une rupture sans projet alternatif ouvre la voie en grand à tous les dangers et notamment les projets les plus rétrogrades. Si on appelle de nos vœux cette rupture, on la veut salutaire et porteuse d’une vision nouvelle, d’un programme solide et réaliste qui prend en compte les données empiriques comme base du changement paradigmatique.
Le nouveau paysage politique : ce qui se dégage clairement c’est la défaite politique de tous les partis du système y compris les nouveaux partis tels que Tahya, Badil, Afek, Nidaa, pour ne citer que les partis de droite, tous balayés en raison de leur ignorance de cette demande de rupture et de leur entêtement à appliquer des vieilles recettes (argent, manipulation des médias, clientélisme politique, absence d’éthique et de valeurs, ambition personnelle dévorante, etc.) devenues tout d’un coup, obsolètes.
A gauche, l’hécatombe n’est pas moins sévère en voyant disparaître de la scène politique les deux ailes du Front populaire et avec elles leur projet de société auquel les Tunisiens n’ont jamais véritablement cru, y compris au plus fort de la puissance de ce front.
Le cas Ennahdha. Le mouvement islamiste est aussi le grand perdant de ses élections et ce pour les raisons suivantes :
1-Il se trouve désormais coincé entre les exigences éthiques du Tayyar Démocratique, seul véritable antithèse à Ennahdha en raison de son projet politique dont l’essence est la mise en place d’un Etat de droit à travers les réformes profondes des principaux organes de pouvoir en Tunisie.
2- Coincé à cause de l’érosion de son électorat et de la perte de légitimité « morale » en raison, entre autres, des différentes « affaires » qui entacheraient le mouvement islamiste. Le mouvement se trouve aujourd’hui acculé à s’allier avec des partis dont la probité reste à prouver - c’est un euphémisme- comme Qalb et Tahya Tounes objets de tous les soupçons de la part de l’électorat présidentiel. Mettre ou remettre la main dans la main avec ces partis ne fera qu’approfondir le fossé qui sépare Ennahdha de cette majorité présidentielle, voire, avec une partie de son propre électorat, qui ont consacré la rupture.
Ennahdha est désormais acculé à faire un choix entre deux options politiques extrêmement difficiles et coûteuses. Soit elle persiste dans ses alliances avec l’ancien système et reproduire le même immobilisme et la même médiocrité. Ceci engendrera une implosion dont les conséquences seront ravageuses pour tout le pays. Soit alors, Ennahdha fait le choix de l’alliance avec le Mouvement du Peuple et Tayyar Démocratique en acceptant les conditions posées par ce dernier. En d’autres termes, jouer la transparence et s’inscrire dans la rupture et le projet de mise en place d’un véritable Etat de droit ce qui implique en plus de certains risques judiciaires, la remise en question de tout ou partie de son pouvoir d’infiltration et d’influence qu’elle a pu construire tout au long de ses dernières années. Ennahdha a tout intérêt à choisir cette dernière option car la demande de transparence et de prise de responsabilité ne fera qu’augmenter dans les années à venir. Le plus tôt Ennahdha rompt avec ses mauvaises pratiques et moins sévère sera le jugement judiciaire et/ou politique.
Le cas Tayyar Démocratique : Véritable vainqueur de ses élections législatives, Tayyar est aujourd’hui le repère voire, le garant de la démocratie en Tunisie quand on sait avec quelle pugnacité ses trois députés avaient combattu la corruption et confondu les corrompus lors du précédent mandat. Que dire avec 22 députés soudés par le même attachement aux principes de l’Etat de droit et de l’application de la loi et porteurs de la même culture politique dont l’essence même est les valeurs éthiques (probité, responsabilité, reddition des comptes). Quel que soit le gouvernement qui sera formé, il aura intérêt à avoir Tayyar de son côté que dans l’opposition !
En tant que baromètre de notre démocratie et dès lors que ses dirigeants avaient mis la barre très haut en termes de probité et de morale politique, le moindre faux pas commis par Tayyar lui coûtera énormément cher politiquement. Si Tayyar décide de faire partie d’une coalition avec Ennahdha même selon les conditions posées, la partie sera difficile à jouer car il sera obligé d’assumer une partie du bilan négatif de Ennahdha/Tahya tout en fournissant davantage d’effort pour gérer une Tunisie au bord de la faillite sans garantie de résultat tant la situation est mauvaise. Se trouver dans un même gouvernement avec Ennahdha et Tahya requiert un effort surhumain de la part de Tayyar tant le fossé idéologique et éthique qui les sépare est grand. Ce grand écart est extrêmement risqué pour Tayyar d’où l’intérêt de s’entourer de toutes les garanties possibles et imaginables et notamment en prenant à témoin le peuple tunisien.
Rester dans l’opposition n’est pas non plus une sinécure car faire le chien de garde dans un pays gangréné par la corruption et un parlement truffé de trafiquants et de réfugiés fiscaux n’est vraiment pas une mince affaire.
Le cas Kaïs Saïd : La fonction présidentielle va très vite le ramener à la réalité. La réalité politique, géopolitique, sécuritaire, économique, sociale sans oublier les rapports de force nationaux et internationaux, dont il prendra vite conscience, le mettront dans une situation là encore, extrêmement difficile. Vu les prérogatives dont il dispose, vu le très faible prolongement politique au sein du parlement et en raison des contraintes susmentionnées, il sera très vite mis face à deux options difficiles. Renoncer à son « projet politique » et se contenter du rôle que lui confère la Constitution et ainsi trahir la confiance de ceux qui voyaient en lui « l’homme providentiel ». L’argument derrière lequel il pourrait se cacher en prenant à témoin le peuple face au rejet de ses éventuelles initiatives législatives, n’empêcherait pas le désenchantement de ses électeurs. La rhétorique et le lyrisme langagier ne lui seront d’aucun secours. Il sera alors amené, soit à se contenter d’un rôle mineur à Carthage, soit à démissionner en raison de son incapacité à honorer les « promesses » de changement profond qui l’ont porté au pouvoir.
Les tenants de l’ancien système : ceux-là ne sont toujours pas disposés à retenir la leçon tant ils considèrent que le peuple a tort dès lors qu’il ne vote pas pour eux. Ils vont attendre, voire espérer l’échec des vainqueurs et se positionner comme l’alternative dans le but de revenir au pouvoir même sur les décombres de la Tunisie. Aveuglés par leur ostracisme, ils oublient que la rupture est désormais consommée. C’est dire que la ligne de démarcation est profonde, entre les tenants de l’ancien système, parmi lesquels on peut, à ce jour encore, compter Ennahdha, Tahya, PDL d’un côté, et les porte-drapeaux du nouveau système que sont Tayyar et le Mouvement du Peuple. Ces deux derniers partis auront la responsabilité de porter le nouveau projet de société et la transformation de la vie politique dans le cadre de l’Etat de droit et du rétablissement des valeurs. Une tâche extrêmement difficile mais ô combien nécessaire pour notre pays.
Malgré les difficultés inhérentes à cette période très délicate que traverse notre pays, le paysage politique commence à se dégager et on peut envisager le futur sur la base de ce clivage qui ne s’estompera pas rapidement tant que les tenants de l’ancien système n’auront pas abdiqué en reconnaissant la souveraineté du peuple. Cette reconnaissance est inévitable, reste à savoir si elle va se fera sous la contrainte ou suite à une prise de conscience ? Seul l’avenir nous le dira. Chose est désormais acquise : les mauvaises pratiques, la roublardise, l’arrogance de l’argent, la manipulation, le mensonge, les tactiques politiciennes, le comportement de voyous et les ambitions personnelles dévorantes ne paieront plus. Plus tôt on intègre ce changement et plus courte sera la distance qui nous sépare de l’Etat de droit. A bon entendeur salut.