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Tribunes
Le combat pour la transparence n'est pas encore gagné
20/11/2012 | 1
min
Le combat pour la transparence n'est pas encore gagné
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Par Inès Chouk*


La Tunisie vient d’avoir la confirmation officielle qu’elle sera le pays d’accueil du 16ème congrès de l’organisation mondiale «International Transparency» en 2014. Une occasion pour montrer que théorie et pratique peuvent aller de pair en veillant à la mise en place d’avancées concrètes sur la transparence d’ici la date de la tenue de ce congrès.

Même si le cadre juridique actuel en Tunisie, en l’occurrence le décret-loi n°41-2011 modifié par le décret-loi n°54 -2011, donne le droit à toute personne physique ou morale d’accéder aux documents administratifs des organismes publics « aussi bien par divulgation proactive que divulgation sur demande de l'intéressé » sous réserve de certaines exceptions, l’ouverture des données (la mise à disposition des données publiques « open data ») est loin d’être effective. Il n’y a qu’à voir les sites des ministères, des principaux organismes publics ou celui de l’Assemblée nationale constituante pour le constater.

L’ouverture des données (l’open data) nécessite un changement culturel profond

Pendant la période de la dictature, les administrations travaillaient dans une opacité totale. Les données étaient soit manipulées, soit censurées soit inexistantes facilitant ainsi la propagation de la corruption. La rupture avec le passé et l’ouverture des données ne peuvent être réalisées qu’en initiant un véritable changement culturel profond dans les administrations et les institutions de l’Etat. Trois mécanismes clés permettraient d’aider à atteindre cet objectif : la référence à l’ouverture des données dans la constitution, une vraie volonté politique et la collaboration avec la société civile.

D’abord, même si le brouillon du projet de la constitution mentionne la transparence (articles 16.1 et 12.2) et renforce le pouvoir du citoyen à travers l’accès à l’information (article 16.2), il reste lacunaire sur ce sujet puisqu’il ne fait pas référence à l’ouverture des données par l’administration publique d’une façon claire et explicite. Au même titre qu’un article sur l’accès du citoyen à l’information, il est indispensable d’avoir un article sur l’obligation de l’administration de rendre les données publiques d’une façon systématique et régulière. L’approche est loin d’être la même, la première est centrée sur le citoyen et lui indique ses droits, la seconde fait de l’administration un acteur du changement.

L’ouverture des données responsabilise l’administration qui doit en conséquence rendre des comptes aux citoyens. L’exemplarité devient alors une obligation et non un choix. Ce point est crucial pour un pays qui a longtemps baigné dans les malversations et constitue un mécanisme clé de la prévention contre la corruption.
Ensuite, même si le cadre juridique est une condition sine qua non pour la transparence, il reste largement insuffisant. Seule une réelle volonté politique permettra de rendre effective la transparence et notamment l’ouverture des données des organismes publics. Il est primordial que les ministères par exemple se dotent d’une cellule pluridisciplinaire (statisticiens, juristes, informaticiens…) dédiée à la publication des données dont le contenu et le format sont intelligibles, compréhensibles et réutilisables par les différents acteurs (société civile, médias, partis politiques, chercheurs, experts…) pour leur permettre de produire de l’intelligence collective (propositions d’analyses , de réflexions, de réformes…).
Comme le souligne Benjamin Ooghe-Tabanou, co-fondateur du collectif « Regards Citoyens » en France, il est important de lever "toute barrière à la réutilisation" des données publiques, "il faut livrer les données dans des formats ouverts, simples» (1).

Enfin, une des spécificités de la Tunisie est le rôle important que joue la société civile dans ce domaine. En effet, de nombreux groupes et associations militant pour la transparence ont vu le jour après la révolution. L’Etat tunisien pourrait profiter de leur dynamisme pour mettre en place conjointement des actions concrètes améliorant l’ouverture des données et montrant son impact dans la vie quotidienne du citoyen. Un citoyen averti et informé peut mieux contribuer à la réussite d’une démarche de démocratie participative en apportant une valeur ajoutée aux débats d’idées sur les enjeux politiques, économiques et sociaux.

Pour la Tunisie post-révolution, l’ouverture des données est indispensable pour rétablir la confiance entre le l’Etat et le citoyen après des années de corruption. Plus qu’une valeur, la transparence est facteur de changement au cœur de la réussite de la transition démocratique. Comme le déclare Sarhane Hichri, un des initiateurs du mouvement « gouvernement ouvert » en Tunisie (OpenGovTn)(2), « il n’y aura pas de démocratie sans transparence »(3).

(1) Valentine Pasquesoone, « En France, l’open data en marche », Le Monde du 31 mai 2012.
(2) OpenGovTn est un mouvement qui œuvre pour la transparence, l’open data et la démocratie participative en Tunisie.
(3) Hafwa Rebhi, « Open your eyes ! » , publié sur le site de la 15ème conférence internationale de la lutte anti-corruption (10 novembre 2012).

* Maître de Conférences, co-directeur du master 2 « Management et technologies de l’information et de la communication » à l’université de Cergy-Pontoise (région parisienne).
20/11/2012 | 1
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