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Chroniques
La stratégie de la diversion
12/02/2012 | 1
min
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Par Nizar BAHLOUL


Les sujets d’actualité ne manquent pas. Entre la météo et ce qu’ont enduré nos compatriotes du Nord-Ouest, le chômage, la fermeture de Leoni ou la politique internationale calamiteuse de nos gouvernants, il y a l’embarras du choix.
Au lieu de quoi, on s’est trouvé à débattre de l’excision et de la chariâa, cette loi islamique interprétée de mille et une manières.
Comment de tels sujets ont-ils pu prendre le devant de la scène à un moment où les priorités et les urgences sont ailleurs ? Pourquoi notre regard a été dévié, encore une fois, vers des sujets identitaires et religieux qui n’ont jamais, 50 ans durant, posé problème ?

A l’origine du sujet de la chariâa, cette semaine, un document circulant sur le net faisait état d’un projet de constitution élaboré, dit-on, par Ennahdha. Dans ce projet, on lit clairement les références à la chariâa dans la Constitution. Après quelques jours de polémique, le parti islamiste a déclaré que ce projet n’est pas le sien. Ballon d’essai ? Peut-être. Diversion ? Certainement !
L’autre sujet de la semaine, qui a plus ou moins dévié les regards, c’est l’invitation lancée à ce rescapé du Moyen-âge, Wajdi Ghenim.
Qui a invité cet adepte de l’excision des filles ? Qui lui a délivré un visa ? Qui lui a accordé les autorisations pour animer des conférences dans des lieux publics ? Allez savoir !
Des invitations-polémiques ont précédé avec Ismaïl Haniya, le chef du Hamas, Amrou Khaled, le businessman religieux et les dirigeants de l’opposition syrienne.
Vendredi dernier, pendant que nos compatriotes mouraient à Ain Draham et que Leoni fermait ses portes, des imams appelaient à manifester leur haine contre Bachar Al Assad.

Ce n’est pas la première fois que les regards des Tunisiens sont détournés vers des sujets polémiques (identitaires généralement) qui ne sont nullement prioritaires.
Un piège dans lequel tombent systématiquement les «modernistes», qui ne peuvent pas de toute façon occulter le sujet. S’ils se taisent, il y a risque que le projet liberticide passe comme une lettre à la poste. Et s’ils crient au scandale et donnent l’importance requise au sujet, ils ne s’occupent plus de l’essentiel (notamment les textes fondamentaux de la Constitution). Dans un cas, comme dans l’autre, les islamistes gagnent au change.

La stratégie de diversion est efficace. Et dans le cas précis de la chariâa, elle est pernicieuse. Les Islamistes savent parfaitement que le débat est sans issue. Le terme chariâa n’a aucun sens tant son interprétation est élastique.
Si l’on va appliquer la chariâa à la saoudienne, nos femmes ne vont plus avoir le droit de conduire un véhicule ou de sortir de chez elles sans l’aval de leur époux. Un époux, partagé entre quatre femmes, qui ne voit ses enfants qu’un jour sur quatre.
Si l’on va appliquer la chariâa selon les interprétations de plusieurs grands islamologues (arabes, maghrébins et occidentaux), les femmes ont tous les droits, y compris de ne pas porter le voile.
Il est communément admis que le prophète Mohamed a été un véritable moderniste. De fait, il n’y a aucune raison pour qu’un bon musulman n’épouse son époque. Par son époque, j’entends le 21ème siècle et non le 6ème.

A vrai dire, au sein même d’Ennahdha les dirigeants sont tiraillés. Entre un Samir Dilou et un Sadok Chourou, il y a tout un univers. Entre Hamadi Jebali et Rached Ghannouchi, il y a tout un monde. Pour les uns, nous sommes tous musulmans. Pour les autres, nous sommes tous des mécréants.
Ennahdha a la délicate mission de rassembler tous ces gens-là, de rassurer les partenaires étrangers et de calmer la population entière.
Si elle insère la chariâa dans la Constitution, elle se met à dos la majorité de la population qui n’a pas voté pour elle. Si elle ne l’insère pas, elle se met à dos ses branches extrémistes.
Pour montrer sa difficulté, elle place le sujet devant l’opinion publique. Celle-ci commence à s’entretuer avant d’envisager des concessions.

Regardez un peu autour de vous. Les jeunes femmes hésitent de plus en plus à porter des jupes courtes dans les grandes villes. Dans les bourgades, le foulard devient la règle. La société devient de plus en plus conservatrice et puritaine, malgré elle, afin d’éviter les problèmes. Les femmes ont presque honte d’être belles.
On nous met, ou on essaie de nous mettre, dans un nouveau moule social qui ne ressemble en rien à ce qu’ont vécu nos parents. Dans les années 60-70, la micro-jupe était mille fois plus portée qu’aujourd’hui. En cette époque là, on dégustait tranquillement sa bière sur la terrasse de l’avenue Habib Bourguiba. Et il n’y avait point de problème entre ceux qui vont à la mosquée et ceux qui vont aux bars. Les deux se rencontrent le soir en toute amitié et en toute fraternité.

On a besoin de rédiger notre Constitution, on a besoin d’emploi, on a besoin de civisme, on a besoin d’investissements, on a besoin de tourisme, on a besoin de sécurité, on a besoin de justice. C’est de ça que l’on doit débattre au quotidien.
C’est ce type de sujets qu’Ennahdha, en tant que parti au pouvoir, doit exposer à ses militants et sympathisants. Au lieu de quoi, on parle de la Syrie, de la Chariâa, du niqab et de l’excision.
Non seulement ce parti n’a pas de solutions à nos problèmes essentiels, non seulement il est incapable de dresser un programme concret pour les résoudre, mais il est incapable d’assurer un climat serein pour en débattre.

Et quoi de mieux, pour cacher son incompétence, que de se cacher derrière la religion et les sujets identitaires ?
Et quand c’est l’opposition ou les médias qui veulent débattre de ces sujets brûlants, Ennahdha ne trouve pas mieux que de leur lancer la peau de banane identito-religieuse pour les occuper. Non seulement ça les occupe mais, cerise sur le gâteau, ils se trouvent décrédibilisés aux yeux de l’opinion publique.
Pendant ce temps-là, les observateurs internationaux et les investisseurs nous regardent avec inquiétude. Et ils vont bientôt arrêter de nous regarder pour aller voir ailleurs où investir.
Ce jour-là, ce ne seront ni Amrou Khaled, ni Ismaïl Haniya, ni Wajdi Ghenim, ni l’opposition syrienne et encore moins le niqab ou la chariâa qui nous sauveront !
12/02/2012 | 1
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