La situation des entreprises publiques, une urgence absolue !
Habib Jamli, le chef du gouvernement désigné par Ennahdha, arrivera-t-il à former son équipe gouvernementale dans les délais que lui impose la Constitution ? L’ancien secrétaire d’Etat à l’agriculture est engagé dans une course contre la montre dont on ne peut raisonnablement en imaginer l’issue. Entre les susceptibilités des uns et les desiderata des autres, sa tâche rappelle curieusement « Le mythe de Sisyphe » d’Albert Camus. Dans cet ouvrage, l’auteur fait le rapprochement entre la vie comme éternel recommencement obéissant à l’absurde et Sisyphe qui, selon la mythologie grecque, fut condamné à pousser éternellement une grosse pierre vers le sommet d’une montagne. A chaque fois, avant de parvenir au sommet, l’énorme rocher en redescendait et cela parce qu’il avait livré aux humains quelques secrets jalousement gardés par les dieux. Cela peut rappeler aussi l’opus cinématographique « Mission impossible », non pas pour sauver le pays, mais pour former un gouvernement. Qui triomphera ? La philosophie de l’absurde de Camus ou la fiction hollywoodienne à la Tom Cruise ?
La réalité, c’est que pour l’heure, compte tenu des positions et des déclarations des partis en négociation avec Habib Jamli, la constitution d’un gouvernement pouvant avoir la confiance d’une majorité confortable de députés au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) semble improbable, introuvable. Une quadrature de cercle.
Et ce n’est pas tout. Habib Jamli doit en même temps satisfaire l’impératif constitutionnel de faire adopter par l’ARP les projets de loi de finances et de budget de l’Etat avant la fin de l’année, alors même que la nouvelle ARP n’a pas encore mis en place ni son bureau, ni ses commissions. Certes, l’urgence a amené les députés à créer une commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi de finances et celui du budget concoctés par le gouvernement sortant et de familiariser par la même occasion les nouveaux élus aux arcanes des finances publiques.
Au mieux, cela servira à familiariser les nouveaux élus aux finances publiques, à la fiscalité, aux objectifs économiques à l’épreuve des contraintes budgétaires, etc. Car, on imagine mal un chef de gouvernement nouvellement constitué se présenter devant un parlement pour défendre non pas ses orientations et ses priorités socioéconomiques, mais celles du gouvernement sortant. A l’absurde de Camus répondrait l’absurde kafkaïen.
Le gouvernement sera formé sur la base d’un accord politique sur des objectifs socioéconomiques précis, promet Habib Jamli. Soit. Mais, encore faudrait-il définir aussi la manière et les moyens censés les réaliser. Fera-t-on une fois de plus appel au FMI ? Engagera-t-on une sérieuse réforme de la fonction publique ? Instaurera-t-on une réelle équité fiscale ? Rationalisera-t-on efficacement les dépenses de subvention à l’énergie ? Ouvrira-t-on, quoi qu’il en coûte, le dossier des entreprises publiques et plus généralement du désengagement de l’Etat de la sphère de production concurrentielle ?
Sur ce dernier point, le choix que fera le prochain gouvernement conditionnera dans une très large mesure l’avenir économique et financier du pays. La situation financière actuelle de plusieurs entreprises publiques et non des moindres est proprement effrayante. Il n’est nul besoin ici de les énumérer toutes. Les difficultés financières de nos sociétés publiques de transport sont connues et ne cessent de s’amplifier. Celles des entreprises industrielles sous le giron public aussi. La situation financière de la CPG, du Groupe chimique est connue. Celle d’El Fouledh l’est moins alors que l’Etat projette de lui faire économiser 27 MD de taxe à l’exportation de sa ferraille pour les années 2020 et 2021. En 2017, dernier bilan connu, la société affichait un résultat net négatif de 28 MD et de plus de 31 MD en 2016. Alors qu’on est à la fin de l’année 2019, on ne connait pas ses résultats financiers de 2018.
Autres exemple, les cimenteries : sur les 8 cimenteries que compte le pays, les 3 qui sont dans le giron public (Les Ciments de Bizerte, la CIOK et Carthage Ciment) affichent des pertes abyssales. Au 30 juin 2019, la cimenterie de Bizerte affiche des pertes cumulées de plus de 106 MD. L’échec par deux fois de la privatisation de la CIOK donne la mesure de son attrait. Quant à Carthage Ciment, son bilan pour l’exercice 2018 affiche une perte de près de 76 MD, soit deux fois ses capitaux propres. Les autres cimenteries, cédées par l’Etat, entre la fin des années 1990 et le début des années 2000 (les cimenteries d’Enfidha, de Jebel Oust, de Gabès et la CAT) ne vivent pas une telle situation, bien au contraire.
Pratiquement toutes les entreprises publiques sont en péril et risquent demain de mettre en péril les finances publiques, comme le font actuellement les Caisses sociales qui ne subsistent qu’à la faveur d’injection financière tirée du budget de l’Etat.
C’est sur ce sujet, entre autres, que les milieux économiques attendent un message d’Habib Jamli non pas des tractations et autres négociations sur la composition de son futur gouvernement s’il arrive déjà à le constituer.