La représentation des femmes sur Facebook, un terrain hostile et discriminatoire
Il y eut de tout temps des oppresseurs et des opprimés, des maîtres et des esclaves, des ayant droit et des n’en ayant aucun, des hommes… et des femmes.
Depuis des siècles, les femmes se sont battues pour s’affranchir, pour acquérir les droits civiques et juridiques les plus élémentaires, pour être considérées comme des personnes à part entière, libres, capables et surtout dotées de bon sens et « raisonnables ». La tâche a d’autant été plus difficile qu’elles sont nées avec des préjugés qu’elles portent comme une croix.
A l’ère de l’audiovisuel et des médias, la femme arabe a souvent été dépeinte dans les émissions et les feuilletons comme une femme fatale, consommatrice, superficielle, soumise, faible, méchante, écervelée, calculatrice etc. Les médias classiques, ont habituellement tendance à véhiculer des clichés négatifs de la femme ignorant ainsi son rôle récent dans tous les domaines en tant que membre actif dans la société, politiquement et socialement, au même titre que l’homme. Ce constat est le résultat d’études institutionnelles et de recherches scientifiques que le Centre de la Femme Arabe pour la Formation et la Recherche (CAWTAR) complète par une récente étude publiée en mai 2015, dans laquelle il met en exergue, au-delà du contenu des médias classiques, les réactions qu’ils suscitent chez le public.
Aujourd’hui, en Tunisie, grâce notamment au Code du statut personnel (CSP), les femmes ont pu réaliser ce qui, quelques années plus tôt, relevait de l’impossible. Ce changement, comme tous ceux qui ont marqué l’histoire de l’humanité, a été imposé aux hommes mais n’a rien changé à leurs croyances. Si l’esclavage a été aboli, la discrimination n’a pas disparu pour autant et si les femmes arabes ont conquis le monde, elles font face encore et toujours aux préjugés séculaires et moyenâgeux, souvent refoulés dans le discours et exprimés, à chaque occasion qui se présente, par l’agressivité du frustré.
L’étude de CAWTAR est intitulée « La femme arabe dans le dialogue virtuel, une étude des représentations de la femme sur les pages Facebook des médias». Elle permet de montrer, à travers l’analyse des commentaires des internautes, l’idée que ceux-ci se font du contenu des médias et par conséquent des femmes en général.
Partant du constat que les médias classiques produisent un contenu qui ne reflète pas toujours une réalité, mais qui s’inscrit dans le cadre d’une mentalité et d’une culture, l’étude a posé la question de l’accueil que réservent les plateformes des réseaux sociaux et donc du public, à ces travaux. Si les médias classiques plient sous le poids de la culture hégémonique, l’espace d’échange libre qu’offre Facebook permet-il de montrer une autre facette, plus moderniste et plus consciente de la société ?
Dans le rapport de CAWTAR dix pages Facebook de médias arabes classiques, ouvertes au public, ont été étudiées. Al Jazeera, MTV Lebanon, Mosaïque Fm ainsi que des médias qatari, marocain, égyptien, syrien, soudanais, émirati et saoudien constituent l’échantillon sur lequel a porté l’enquête. L’analyse des commentaires concernant des sujets relatifs aux femmes a révélé des aspects inattendus de ce qui se trame sur la toile.
La représentation de la femme sur les plateformes sociales des médias
Les chercheurs imputent aux médias un manque de volonté apparent à valoriser l’image de la femme arabe, pire encore leurs lignes éditoriales sur les réseaux sociaux essentiellement Facebook dénoteraient d’une volonté à récupérer des clichés et à les monétiser dans le cadre d’une course aux clics. Ils misent ainsi le tout sur une audience hostile au changement qui, par conséquent s’identifie plus facilement au message véhiculé par un média caressant dans le sens du poil, sa conception « non discutable » de la société.
De cette démarche, seront produits deux profils de femmes tout aussi dégradants l’un que l’autre, d’une part la dévergondée dont les seuls attributs sont un décolleté plongeant et un QI proche de zéro, d’autre part la femme soumise qui dépend entièrement de son mari et ne porte aucun intérêt pour ce qui se passe en dehors de son ménage.
Le rôle actif de l’audience dans la consolidation d’une image négative de la femme
Les contenus qui ont trait à la femme sont la plupart du temps sujets à des interactions marquées par une certaine hostilité. Les participants, particulièrement de la gent masculine tendent à adopter une attitude haineuse et dégradante, ou dans le meilleur des cas indifférente à l’égard des femmes qui font les titres de l’actualité.
Dans une tentative d’élucider les motivations latentes qui sont susceptible de « justifier », ou expliquer ne serait-ce qu’un peu, le plaisir que prennent ces commentateurs à discréditer une artiste, athlète, femme politique ou autre. L’étude s’est vite rendue à l’évidence que ce type de discours n’est autre qu’une misogynie collective qui apparaît dans un discours standardisé, servi systématiquement et gratuitement dès qu’une prise de position ou un accomplissement sont signés par une femme.
Face à ce phénomène, les utilisatrices de Facebook font preuve de beaucoup plus de réserve dans leurs commentaires. Celles parmi elles qui se mettent en travers des insultants pour montrer leur solidarité seraient tout de suite exposées à une avalanche de propos malveillants et intimidants, certaines se retrouvent même victimes d’harcèlement sexuel.
Les chercheurs attirent aussi l’attention sur le fait que ces mêmes médias ignorent ou plus vraisemblablement font la sourde oreille sur les innombrables messages de haine et se dérobent à leurs obligations de faire la modération des réactions suscitées par leurs posts, ceci serait d’autant plus malsain de leur part que leur refus de bannir des utilisateurs irrespectueux peut être expliqué par leur volonté de garder coûte que coûte un maximum d’adhérents actifs sur leurs pages.
Les recommandations de CAWTAR
Le Centre de la Femme Arabe pour la Formation et la Recherche préconise à l’issue de cette étude d’employer les réseaux sociaux et les possibilités d’échange qu’ils permettent pour favoriser l’adhésion à la cause de la Femme, en proposant un contenu qui véhicule une image équilibrée de la femme et de son rôle social, politique et culturel. Elle recommande aussi d’organiser des sessions de formation dans le domaine des médias en rapport avec les réseaux sociaux pour les administrateurs des pages à forte popularité et qui véhiculent parfois des messages dégradants pour la Femme.
CAWTAR propose de produire une matière rédactionnelle, des textes, des vidéos et des images à portée éducative et qui se rapportent à la cause de la Femme, afin de les diffuser sur les réseaux sociaux et de sensibiliser les professionnels des médias sur la nécessité de mettre en place une charte éthique propre aux réseaux sociaux et qui comporte des principes qui concernent la discrimination envers la femme et l’utilisation d’un discours hostile et violent entre dans le cadre des interactions au sein de la page.
Pour finir, le centre appelle les médias à organiser des sessions de formation pour les administrateurs et les « community managers » de leurs pages sur Facebook et Twitter, dans le domaine social, afin de les sensibiliser à l’importance de gérer ces pages selon les principes de l’éthique journalistique.
Les résultats de cette étude sont assez étonnants et plutôt inattendus. On peut penser que les réseaux sociaux offrent un espace virtuel propice au partage et à la diffusion de messages forts en faveur de causes aussi importantes que celle de la femme arabe. En réalité, il s’avère que le virtuel est le miroir du contexte social réel et ne fait que l’alimenter et le reproduire. Ce qui est encore plus surprenant c’est l’attitude des femmes qui paraissent absentes et plutôt passives dans les débats qui ont lieu sur les réseaux sociaux et qui les concernent directement.
Un manque d’implication parfois attribué à la peur de la confrontation ou au désintéressement, qu’il faudrait réviser dans un contexte social et politique particulier, où les acquis sont menacés, quelquefois par les femmes elles-mêmes, et où il semble que les lois ont avancé à un rythme nettement plus soutenu que les mentalités.
Myriam Ben Zineb