alexametrics
jeudi 28 mars 2024
Heure de Tunis : 15:49
Chroniques
La politique du taux de change en débat
16/08/2018 | 16:45
6 min

 

 

Par Houcine Ben Achour

 

Il y a quelques jours, une discussion fort intéressante a eu lieu par le biais du réseau social sur l’évolution du taux de change du dinar. Tout est parti d’un constat émis par Slim Tlatli, ancien ministre du Tourisme à partir duquel il stigmatisait le fait qu’ « on continue à laisser filer le Dinar pour, soi disant, juguler le déficit commercial…Walou [Rien du tout]… Il faut absolument réviser cette politique qui mène le pays vers des abysses », se basant sur le bond de 15% enregistré dans le déficit commercial durant les 7 premiers mois de l’année 2018 par rapport à la même période de 2017. Et les commentaires et autres analyses de se succéder, révélant progressivement la complexité de la problématique ou plutôt de la contrainte du taux de change dans une économie. Ici, on était loin des rhétoriques à l’emporte pièce, des anathèmes jetés çà et là et des explications farfelues de politiciens et d’experts en mal de notoriété qui, plus est, sont pour la plupart des profanes en la matière.

 

On commence de plus en plus à douter de l’efficacité du choix d’une plus importante flexibilité du taux de change du dinar tel que le recommande le FMI. Même au sein de l’institution financière multilatérale, les avis se sont progressivement nuancés. Il est vrai qu’à l’épreuve des faits, cette option apparait de plus en plus hasardeuse.

« Quand l’élasticité prix à l’import et à l’export est faible comme c’est le cas de la Tunisie, la dévaluation de la monnaie accentue le déficit de la balance commercial », explique Abdelaziz Halleb, Directeur général d’Omnitech et président de la Fédération de l’électricité et de l’électronique relevant de l’Utica, l’organisation patronale tunisienne, en appui aux propos Slim Tlatli. Il publiera d’ailleurs un graphique corroborant son point de vue où l’on observe que, depuis 2011, l’accroissement du déficit commercial en valeur évolue au même rythme que la dépréciation du dinar par rapport à l’euro. Ce sur quoi il conclut par un « voici pourquoi la politique monétaire tunisienne est simplement suicidaire ».

 

Nonobstant le fait que le graphique montre aussi que les courbes d’évolution du déficit commercial et du taux de change de l’euro tendent à converger vers ce qui semble constituer un niveau de taux de change qui stabilise le déficit commercial à défaut de le réduire, Mohamed Souilem, ancien Directeur général chargé de la politique monétaire à la Banque centrale de Tunisie, apportera une précision qui oblige à la nuance dans la mesure où il estime que le taux de change n’est aucune une panacée mais simplement « une variable d’ajustement pour neutraliser les effets de distorsion temporaires affectant la compétitivité d’une économie et ne peut nullement contrebalancer la baisse de la productivité, l’arrêt de production, les grèves et les sit-in ». C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, le taux de change « doit être utilisé avec modération, sinon il donnera des effets secondaires nuisibles : inflation importée, renforcement des anticipations inflationnistes, hausse de la dette extérieures, amplification des déficits extérieurs, développement du marché parallèle… ».

 

Partant de ce point de vue, il convient de savoir, dès lors, si la persistance d’un taux d’intérêt réel négatif tel qu’on le constate depuis quelques années fait partie « des distorsions temporaires ». A ce niveau, rien n’est moins sûr compte tenu de l’objectif  de la BCT d’ajuster le taux de change en fonction non pas seulement en regard de l’écart d’inflation entre la Tunisie et ses principaux partenaires commerciaux mais aussi et surtout de l’écart entre taux d’intérêt nominal et taux d’inflation dans le pays. C’est ce sur quoi alertera d’ailleurs Tawfik Baccar, ancien ministre du Développement et ancien Gouverneur de la Banque centrale rappelant que « la dépréciation se jauge par rapport au taux de change réel et pas par rapport au taux de change nominal et ceci on a tendance à l’oublier ».

 

Cette focalisation sur les aspects techniques de détermination du taux change ne peut occulter le fait qu’ « à la base, il y a une erreur de diagnostic et une incompréhension totale des mécanismes économiques », estime en outre Tawfik Baccar. L’erreur de diagnostic tiendrait-elle du contexte comme le suppose Mustapha Mezghani, ancien PDG de Tunisia trade net et expert en Tic et économie numérique qui pense que « le principe énonçant que la dévaluation ou perte de valeur du dinar est bénéfique à l’exportation et à la balance commerciale était valable dans les années 1970 et 1980 en raison d’un contexte qui n’a plus cours aujourd’hui ». En effet, l’économie tunisienne était largement administrée. C’était le temps – « béni » ? – des barrières tarifaires et non-tarifaires et la concurrence sur les marchés bien moins vive. La libéralisation de l’économie et l’adhésion à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) ont changé la donne. L’incompréhension totale tiendrait-elle comme le suggère Faïza Ben Massaoud Feki, ancienne Directrice général du contrôle à la BCT, au fait que « la politique monétaire ne peut donner ses effets sans les mesures budgétaires d’accompagnement ». Il est vrai qu’on s’en tient seulement aux seules mesures qui touchent à la sphère financière « parce que ce sont les seules mesures qui ne passent pas par l’ARP (Assemblée des représentants du peuple) alors que les mesures et les réformes sur la sphère réelle y sont soumises et donc faire l’objet d’un marchandage politique plus qu’à un débat économique », indique Tawfik Baccar.

 

Mohamed Hassine Fantar, notre plus réputé archéologue aura, au cours de ces échanges à travers le réseau social, l’interrogation la plus pertinente : « Que pourrait-on dire de ceux qui promeuvent cette politique jugée suicidaire par des experts reconnus? Que faire? Nous sommes dans le désarroi ».

Des pistes sont exposées. Mustapha Mezghani indique dans ce sens que « la perte de valeur du dinar aurait un véritable impact sur les exportations et la balance commerciale le jour où les exportations seront principalement composés de produits finis tunisiens fabriqués en Tunisie, sous une marque tunisienne, issu de la R&D tunisienne et de préférence avec des matières premières tunisiennes et des investissements tunisiens ». D’autres pointent du doigt l’exigence d’une amélioration de la productivité globale. Malheureusement, cela semble loin de la coupe aux lèvres lorsqu’on consulte le dernier Rapport sur la compétitivité globale du Forum économique mondial de Davos. Sur 137 pays, la Tunisie est classée au 135e rang en termes d’efficacité du marché du travail, au 126e rang concernant les salaires et la productivité, au 111e rang au niveau de la perméabilité des entreprises aux nouvelles technologies, au 122e rang en termes de procédures douanière, au 120e rang concernant la nature des avantages concurrentiels, au 99e rang en termes d’innovation, au 100e rang s’il s’agit des dépenses en R&D, au 106e  rang au niveau de partenariat Université-Entreprise en matière de R&D,… Autant dire parmi les derniers de la classe, dévoilant l’ampleur de l’effort.

 

Ô combien aurait été profitable que de tels échanges remplissent les colonnes de journaux, les studios de radio et les plateaux de télévision. Là aussi l’ampleur de l’effort est indéniable.

16/08/2018 | 16:45
6 min
sur le fil
Tous les Articles
Suivez-nous

Commentaires (8)

Commenter

hmed
| 26-08-2018 18:51
Quel gâchis . Wallah, avec une classe politique passable on ne peut jamais atteindre de tels classements. Hypothéquer l'avenir de générations entière ne profite qu'à une Mafia qui a tout préméditer la liquidation de l'économie du pays.

Soufi
| 25-08-2018 02:32
Je n'arrête pas de le dire et de le répéter la production du gaz de schiste ainsi que du pétrole de schiste dont le pays regorge sont la solution immédiate aux problèmes économiques et financiers du pays.

manixsv
| 24-08-2018 16:47
Espérons que les choix directeurs de l'économie Tunisienne seront d'avantage au c'?ur des prochains débats politiques.

La politique monétaire ne fera jamais grand chose à long terme sans une amélioration de la politique économique:
On peut d'une part s'interroger sur ce qui peut motiver les tunisiens salariés à augmenter leur productivité dans une sphère d'entreprise qui ne leur apporte rien ( partage des richesses)
On peut aussi se demander si les barrières douanières sont un rempart ou une prison économique. (libéralisme ou keynésianisme).

Les Tunisiens autour de moi semble tellement blasés de tant d'immobilisme qu'il est urgent de réveille la flamme patriotique par un projet ambitieux

manixsv
| 24-08-2018 16:36
"l'accroissement du déficit commercial en valeur évolue au même rythme que la dépréciation du dinar"
Peut être est ce la dépréciation du dinar qui suit "l'effondrement" du déficit commercial.....

kol
| 20-08-2018 16:14
Article tres pertinent et resume tres interessant des points de vue de competences tunisiennes reelles - ca fait plaisir!
Nonobstant, avant d'aller la, commencons par la base (the basics): sans politique, il n'y a pas de politique monetaire non plus (qui ets la cerise sur le gateau)
On aura beau debattre du pourquoi du comment, l'absence de creation de valeur en Tunisie, menera, avec ou sans politique monetaire bonne ou mauvaise, l'economie aux abysses...
je ne suis aps optimiste... mais alors pas du tout :(

Mohamed DJERBI
| 18-08-2018 10:04
Quand un pays a une balance commerciale déficitaire entrainant un déficit de la balance des paiements cela provoque automatiquement une dépréciation de sa monnaie par rapport aux monnaies étrangères fortement demandées pour régler les dettes extérieures.
Plusieurs solutions se présentent aux dirigeants pour y remédier dont la dévaluation de la monnaie en est une.
Cette dévaluation n'a d'effet que si le pays dispose de stocks importants de produits locaux invendables parce ce que trop chers par rapport aux prix internationaux.
Cette mesure ne s'applique pas pour des matières premières cotées sur le marché international comme les phosphates, le pétrole, le cuivre, le fer ou l'or.
Notre pays n'a malheureusement rien en surplus à vendre à part l'hôtellerie de tourisme et la main d'oeuvre.
La baisse des prix des séjours en euro et dollar nous amène des clients de plus en plus pauvres desquels l'économie n'en tire rien en extra.
Nous avons plus de clients avec le même revenu en devise ou un léger plus qui n'a rien à voir avec l'augmentation des nuitées.
La main d'oeuvre bon marché, personne n'en veut dans ces temps de contestation et de troubles continus et ça aurait été toujours une solution provisoire. L'investisseur étranger quitterait rapidement notre pays dès qu'il trouve une main d'oeuvre meilleur marché ailleurs.
La dévaluation a très peu d'effets bénéfique. elle a des effets négatifs beaucoup plus importants.
Les importations seront plus chères ce qui provoque l'inflation et peut être des mouvements sociaux à l'intérieur du pays.
Le pays qui procède à la dévaluation est souvent fort endetté vis à vis de l'étranger et sa dette se retrouve augmentée. Si avant la dévaluation la dette représentait 5 ans de production nationale, après dévaluation elle présenterait 7 années.
La dévaluation est une mesure catastrophique et elle l'a été toujours ainsi dans notre pays.
Que faire donc quand nous importons plus que nous exportons.
La banque centrale qui veille à notre dinar aurait pu avoir une politique de crédit autre que celle pratiquée :
-Freiner les importations non nécessaires en augmentant le taux d'intérêt des crédits destinés a à leurs financements à l'import et la vente locale,
-Encourager nos concitoyens à l'étranger à placer leurs économies en devises moyennant un taux d'intérêt alléchant qu'ils ne trouveraient pas ailleurs plutôt qu'emprunter auprès des banques étrangères qui nous mettent sous leur tutelle.
- Emprunter sur le marché national plutôt que de l'étranger pour financer le budget de l'Etat.

Ameur k
| 16-08-2018 18:25
Voila des sujets intressants a debattre et a simplifier au citoyen
Au lieu de perdre son energie a debattre de choses farfelues avancees par des gueules detraquees et psychiquement instables a l image de ce Laayouni ou Hamdi; nos chaines Tv jouent au populisme et ne contribuent pas a l avancee des causes serieuses de ce peuple...dommage

DHEJ
| 16-08-2018 17:52
Encore de la gymnastique d'esprit car la politique n'existe pas en Tunisie.

Ils disent des technocrates...