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Chroniques
La démocratie triomphera des candidats parasites
22/09/2014 | 15:59
7 min
Par Nizar BAHLOUL

C’est quand même extraordinaire ce qui se passe en Tunisie avec ces candidatures aux élections législatives et présidentielle. Il y a à peine cinq ans, on n’osait même pas en rêver. En cette période, le pays était orné de mauve pour un candidat unique à la présidentielle de 2009. Les RCDistes multipliaient les slogans laudateurs, les journaux sceptiques étaient « invités » à se joindre à la troupe, de gré ou de force, et les sbires du système étaient occupés à créer, de toutes pièces, des procès et des histoires à dormir debout contre leurs opposants. Ça allait des simples articles contre Najibollah (pour Ahmed Néjib Chebbi) aux procès en bonne et due forme contre Taoufik Ben Brik.
Certaines mauvaises habitudes continuent encore à perdurer, mais elles vivent sous perfusion. Tarek Kahlaoui, Samir Ben Amor et Yassine Ayari ont bien remplacé les rédacteurs anonymes d’Al Hadath pour dénigrer les opposants à leur « chef ». La présidence n’a pas cessé ses procès politiques contre les journalistes «indisciplinés » (Zouheïr El Jiss et moi-même en savons quelque chose), mais malgré ces « virus persistants », on est à des années-lumière de l’époque Ben Ali en matière de liberté d’expression et de libertés tout court.
Il y a cinq ans, personne ne pouvait imaginer qu’il y aurait une quarantaine de candidatures à la présidentielle et quelque 1500 listes pour les législatives, ce qui correspond à 69 candidats pour un siège au parlement.

Si l’on prend un peu de distance par rapport au pays, cette révolution (puisqu’on l’appelle ainsi) a réussi et commence à donner ses fruits. S’il n’y avait pas une très forte société civile, s’il n’y avait pas une bonne opposition (je pense notamment au quatuor Nidaa, Jomhouri, Front populaire et Massar), une presse insolente comme il se doit, et quelques juges intègres qui ont stoppé l’hégémonie de plusieurs gouvernants, on n’aurait pas pu avoir ce résultat aujourd’hui. Ces quatre composantes de la société ont réussi à contrer, avec brio, les projets de potences du trio CPR/wafa/Tayar et du califat du duo salafistes/Ennahdha.
Voir Ahmed Néjib Chebbi, Hamma Hammami et Mustapha Ben Jaâfar faire la course pour la présidence est un plaisir inouï. Ils ont bien lutté durant des décennies contre la dictature. Ils n’ont pas fui le pays, ils ont affronté l’injustice, ils ont résisté et les voilà maintenant en course pour la magistrature suprême. L’image est forte en dépit des faiblesses des uns et des autres.

Revers de la médaille de cet extraordinaire moment, la présence de tous ces parasites.
La majorité des analystes politiques, à commencer par mon collègue et ami Sofiène Ben Hamida, montrent du doigt les candidatures RCDistes et épinglent Kamel Morjane, Abderrahim Zouari, Mondher Zenaïdi et, à degré moindre, Béji Caïd Essebsi et Mustapha Kamel Nabli.
Sans s’inscrire dans le contre-courant, il faut reconnaître que ces candidatures sont justement la preuve même de la bonne santé démocratique en Tunisie. En présentant leurs dossiers, ces cinq candidats n’ont pas menti aux électeurs. Tout le monde sait qui ils sont et ce qu’ils étaient. Ils n’ont pas usé d’arguments religieux ou faussement militants pour se prévaloir. En dépit de tout ce qu’il y a de mauvais dans leur passé (et il n’y a pas que du mauvais contrairement à ce qu’on cherche à nous faire croire), ils sont là pour jouer le jeu de la démocratie et laisser les urnes parler. Force est de reconnaître que les sondages (qu’on nous interdit de publier) jouent largement en leur faveur. Si le Tunisien ne veut pas d’eux, il les écartera par les urnes et le mot « révolution tunisienne » prendra alors son véritable sens. Ce n’est pas à quelques malades des LPR/CPR de dicter l’Histoire de la Tunisie.
Les vrais parasites des prochaines élections sont tous ces candidats qui mentent aux électeurs à longueur de journée. Ils jouent l’intégrité totale, mais parlent rarement de leur historique et des origines réelles de leur fortune, tels Bahri Jelassi ou Slim Riahi.
Il y a ceux qui ont été frappés par un électrochoc cathodique au point de confondre audimat et popularité, tels Hechmi Hamdi et Larbi Nasra.

Et puis il y a les machiavéliques qui multiplient à longueur de discours les contrevérités. Cette liste est longue et elle est chapeautée avec mérite par Moncef Marzouki, actuel président de la République.
Pour la seule journée du samedi, date du dépôt de sa candidature, les observateurs ont dénombré pas moins de cinq contrevérités. Des contrevérités destinées à tromper le public sur le « militantisme » et la sincérité de M. Marzouki. Ses sbires assurent le relais ensuite de la propagande présidentielle et font le nécessaire en matière de dénigrement et d’insultes de l’opposition.
Première contre-vérité de ce samedi, Moncef Marzouki se présente comme indépendant tout en étant entouré de l’ensemble des cadres dirigeants du CPR. Même constat pour Mohamed Frikha qui se présente en tête de liste d’Ennahdha aux législatives et devient, soudainement, indépendant à la présidentielle. C’est quoi la définition du mot « indépendant » ? Allez savoir !
Deuxième contre-vérité, prononcée par son directeur de campagne Adnène Mansar, le parrainage de son parti à Ahmed Néjib Chebbi. Il a été démenti dans la journée par Zeïneb Turki, directrice de campagne du candidat d’Al Joumhouri.
Troisième contre-vérité, il cherchait à opposer le mouvement du 18-Octobre à celui du 7-Novembre. Il sera démenti le lendemain par la cofondatrice du CPR, Néziha Rejiba, qui lui rappelle qu’il s’est très bien opposé au mouvement du 18-Octobre réunissant l’ensemble (sauf Marzouki et Ben Jaâfar) des opposants à Ben Ali, y compris les islamistes.
Quatrième contre-vérité, son slogan de campagne « On gagne ou on gagne » plagié sur une chanson de soutien à l’ancien président ivoirien (aujourd’hui emprisonné au TPI de La Haye) Laurent Gbagbo. Ce même slogan, à connotation fasciste, a été utilisé, par la suite, par le parti tunisien Mouvement de la construction maghrébine. Son équipe de campagne n’a même pas été capable de le vérifier sur Google, alors qu’un slogan se travaille durant des années, théoriquement.
Cinquième contre-vérité, sa lutte contre l’argent sale dans la politique, alors que son entourage n’a cessé de multiplier les casseroles en la matière. Sihem Badi et Imed Daïmi lui en parleront davantage de ce sujet, ainsi que Samir Ben Amor le « trésorier » qui a égaré le registre des comptes.
Cette cinquième contre-vérité prend ses lettres d’or quand on entend Adnène Mansar dire que le financement de la campagne se fera, entre autres, par les ventes du livre de Moncef Marzouki. Sachant que le livre n’a pas été vraiment vendu, considérant qu’un auteur ne touche que 10% des revenus de son ouvrage et en vous rappelant que son parti, dont il est indépendant, n’a pas communiqué le nombre de ses militants, faites-le compte et tirez les conclusions sur ce financement avec de l’argent « propre ».

C’est ce type de candidatures qui est dangereux pour notre démocratie, car ce type de candidats réussit facilement et rapidement à tromper son public avec des slogans révolutionnaires, pompeux et rassurants. Les médias ont beau montrer, preuves à l’appui, les supercheries et les mensonges, son public-cible demeure crédule. Ils s’autoproclament les « défenseurs de la révolution », alors que dans les faits, ils sont les premiers à la défoncer.
Oui, c’est extraordinaire ce qui se passe et ces élections auraient été parfaites si l’administration fiscale avait plongé un peu son nez dans les comptes des candidats et si le procureur de la République s’était occupé davantage de quelques candidats ou proches de candidats ayant trempé dans de sales affaires. Les médias, à eux seuls, ne peuvent pas grand-chose s’il n’y a pas de suite concrète à leurs dénonciations des méfaits et mensonges des uns et des autres.
22/09/2014 | 15:59
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