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Chroniques
La démocratie, ça se construit ; la dictature aussi !
11/12/2011 | 1
min
La démocratie, ça se construit ; la dictature aussi !
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Par Nizar BAHLOUL


Avec Habib Bourguiba (paix à son âme), on a eu droit à une dictature paternaliste, voire paternelle, trente ans durant. Il avait la légitimité du combat, du savoir et de l’intelligence et dictait aux Tunisiens leur conduite. Comme tout paternel qui se respecte, il imposait ses choix à ses enfants. Pour leur intérêt.
La philosophie a ce chic de tout expliquer, il fallait à un moment tuer le père. Bourguiba, l’âge aidant, l’a oublié. La tâche fut confiée à l’un des enfants de Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali l’accomplit à merveille. On a appelé cela le Changement.
Tel père, tel fils, Ben Ali a appliqué à merveille la stratégie dictatoriale bourguibienne. Faute de légitimité de combat, Ben Ali ne pouvait pas se positionner dans la stature du père et prétendre à une dictature paternaliste. Il a opté pour la dictature éclairée, mais faute de savoir et d’intelligence, il a oublié que la stratégie n’est pas viable sur le long terme. Surtout lorsqu’on est mal entouré.
Exit Ben Ali, exit la dictature quelle qu’elle soit, le peuple veut la démocratie. L’aura-t-il ?

Le premier test grandeur nature de la démocratie a eu lieu le 23 octobre. Ennahdha a gagné en jouant sur le terrain, comme un grand professionnel de la politique.
Comme tout vainqueur n’ayant pas suffisamment de voix pour exercer son pouvoir (50,1%), il fallait à Ennahdha des alliés. Des opportunistes en politique, cela a toujours existé et cela existera toujours. Une Troïka s’est composée, elle a commencé à légiférer, en imposant ses choix, comme l’exigent les lois de la démocratie.
La théorie qu’on nous répète à l’envi est la suivante : « c’est comme cela que ça se passe, partout dans le monde démocratique et c’est comme cela que ça va se passer dans cette nouvelle Tunisie démocratique. Rompez le rang, rendez-vous aux prochaines élections. Malheur aux vaincus.»
Si l’on applique aveuglément cette théorie, la Troïka pourra passer toutes les lois qu’elle désire.¨
Elle peut même décréter le califat, si elle le souhaite. Vous ne voulez pas ? Passons au vote !

Or la troïka, ou plutôt quelques uns parmi ses éléments, feint d’oublier que la démocratie dont ils parlent a des préalables qui n’existent pas encore en Tunisie. On ne met pas le tapis de prière avant d’avoir construit la mosquée.
On nous évoque souvent l’exemple britannique ou américain. Mais on oublie qu’aussi bien aux Etats-Unis qu’en Grande Bretagne, il existe une société civile et des médias suffisamment puissants pour pousser un ministre à la démission en 48 heures.
On oublie que les magistrats sont au-dessus de tout le monde et ne sont sous la coupe de personne.
On oublie que le Premier ministre n’a pas autant de prérogatives que celles que l’on vient de donner au nôtre.
On oublie que les élus de ces pays sont imprégnés de culture politique et démocratique qui leur interdit la promulgation de toute loi liberticide ou contraire à la démocratie.
Et si l’on est amené à promulguer de telles lois, dans des cas extrêmes comme au lendemain du 11 septembre, il faut obtenir d’abord l’acceptation de la majorité des tendances politique et non celle du vainqueur seulement.

En Tunisie, on n’en est pas encore là et les débats de l’Assemblée constituante le prouvent.
On a cherché, tout en se cachant derrière la loi immuable du vote majoritaire, à mettre sous sa coupe la Banque Centrale et les magistrats.
On a reconduit cette loi absurde (qui devrait être anticonstitutionnelle) qui fabrique des Tunisiens de seconde zone, au prétexte qu’ils ne sont pas de confession musulmane ou parce qu’ils ont une autre nationalité ou ayant un parent étranger.
On n’était même pas capable de sauver les apparences puisque c’est Moncef Marzouki qui sera élu Président, sans aucun doute. Quel aurait été le mal si l’on s’était refusé à voter cet article discriminatoire basé sur la foi des individus ?
Mais, au nom de la démocratie, voilà que l’on a désormais un article discriminatoire (et contraire à la charte universelle des Droits de l’Homme) dans notre mini-constitution.
Et il est fort à parier, hélas, que cette discrimination basée sur la religion, soit de nouveau inscrite dans la nouvelle Constitution. Pourquoi n’a-t-on pas évoqué l’exemple britannique ou américain en débattant de cet article et rappeler que le père de Barack Obama n’a pas la citoyenneté américaine ?
Comble de la discrimination, on a même entendu un élu tancer les juifs en plein hémicycle, sans que cela n’émeuve le président de l’Assemblée qui ne voit et n’entend que ce qu’il a envie de voir et d’entendre. Heureusement qu’il y a eu un homme sensé (Khemaïs Ksila) pour rappeler à l’ordre cet écart discriminatoire honteux pour une démocratie naissante et indigne d’un pays moderne.

La démocratie, c’est parfait et le vote de la majorité sera incontestable quand on met au dessus de tout (y compris au dessus de la Constitution) les valeurs universelles.
On ne peut pas, au nom de la démocratie, voter des lois liberticides, des lois violant la Charte universelle des Droits de l’Homme, des lois handicapant le fonctionnement normal des institutions ou des lois asphyxiant les voix minoritaires.
La démocratie, ce n’est pas le choix de la majorité à l’aveuglette, c’est le choix de la majorité dans le cadre défini de valeurs universelles.
Au-delà des calculs partisans, et peu importe le nom du vainqueur ou du vaincu et ses principes, la nouvelle Constitution doit épouser ces valeurs universelles tout en respectant les spécificités tunisiennes. Elle doit privilégier le bon sens et non les calculs partisans.
Et parmi ces valeurs, une magistrature sans aucun tuteur, un système financier indépendant, une liberté d’expression et de création, une liberté de croyance et une réelle application de l’égalité des citoyens dans les devoirs et dans les droits. La mini-constitution promulguée, samedi tard dans la soirée, n’a pas respecté toutes ces valeurs. Pourvu que la vraie constitution, qui sera votée dans un an (inch’allah), les respecte. Au train où vont les choses, le doute est permis et on commence à s’interroger : à quand la IIIème République ?
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