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Chroniques
L'égalité de l'héritage, ce piège
Par Synda Tajine
04/12/2018 | 15:59
6 min
L'égalité de l'héritage, ce piège

 

Par Synda Tajine

 

L'égalité de l'héritage, si elle est présentée, par les modernistes ou progressistes (appelez-les comme vous voulez), comme cette grande avancée pour la cause des femmes et de l'égalité des genres en général, elle fait peur à beaucoup d’autres.

Plusieurs dizaines de citoyens sont sortis manifester contre le projet de loi de l’égalité de l’héritage proposé par la commission des libertés individuelles et de l'égalité, soutenu par le président de la République et voté en conseil des ministres.

On ne touche pas aux fondements de la religion”, “on ne dénature pas la parole de Dieu” et “on n’a pas le droit de toucher à des textes aussi sacrés que le coran”. Ces paroles émanent toutes de femmes. Sans exception.

 

Si vous faites partie de ceux qui pensent qu’accorder à une femme une part d’héritage égale à celle d’un homme est tout simplement un “droit” et une “justice”, vous serez peut-être étonnés de voir combien de femmes sont contre cette idée. Ne vous fiez pas aux tailles des manifestations, elles ne représentent que très rarement le poids réel des opinions populaires. Les citoyens qui ne manifestent pas n’ont tout simplement pas la motivation nécessaire pour le faire. En revanche, ils ont une opinion. Et cette opinion pourrait bien vous surprendre.

Certaines femmes, beaucoup de femmes, sont contre l’égalité de l’héritage. L’héritage est un sujet sensible, il touche à la fois à l'argent, au pouvoir et au rôle que chacun doit jouer. Il y a de quoi susciter des malaises.

 

Dans la société tunisienne, la proportion des femmes actives est en hausse depuis des années. Mais aujourd’hui on parle de moins de  30% de femmes présentes sur le marché du travail. La proportion des femmes dirigeantes et actives dans des postes clés est, elle, encore plus basse.  

Dans le monde du travail, le sexisme ordinaire est décomplexé au profit d’un comportement patriarcal largement accepté. En plus des commentaires sexistes et de l'éviction des postes de décision, les femmes sont lésées durant leur congé maternité. Oui car il n'existe, tout simplement pas, d’équivalence masculine pour cette absence “naturellement justifiée”, ne serait-ce que pour perpétuer l’espèce…

Les femmes doivent travailler plus pour produire plus parce qu'on leur fait comprendre qu'elles doivent prouver leur existence dans l'entreprise. On brandit aux femmes le prétexte de l’égalité au travail quand il s'agit de productivité, mais cette égalité est reléguée au second plan lorsqu’il s’agit de partage équitable des tâches domestiques ou de prise en charge – complète et dévouée – des enfants. On évoque l’égalité au travail pour stigmatiser les femmes qui s’absenteraient à cause d’un enfant malade, d’une réunion de parents d’élèves ou qui serait trop épuisée à combiner tâches domestiques, rôle de mère à plein temps et celui de femme active, pour s’investir réellement dans sa carrière. Entendez par là, s'investir autant qu’un homme.

En contrepartie, dans les salles d’attente des pédiatres, dans les réunions des parents d’élèves des écoles, et dans les rayons puériculture des magasins, ce sont en majorité des femmes que vous voyez. Poussant une poussette, téléphone à la main et tenant cette fameuse liste.

Oui cette charge mentale que les femmes trainent et dont on ose enfin parler dans les pays démocratiques qui se respectent, n’est pas une légende urbaine. Cette charge mentale qui oblige les femmes à devoir tout assumer et à être sur tous les fronts pendant que les hommes “participent” et prennent en charge la partie qu’on leur a demandé de faire, tout en se faisant passer pour des super-héros pour avoir emmené un enfant chez le pédiatre ou avoir posé une question pertinente à une réunion de parents d’élèves. Ces hommes existent certes. Ils sont en revanche rares. Ceci leur vaut la grande gratitude générale, les acclamations de la foule et les trophées les plus prestigieux, excusez mon ironie.

 

Quand on parle d’égalité, on parle surtout de devoirs partagés. Si on demande à la femme d'être aussi performante au travail qu’un homme,  on ne demande pas à un homme d'apprendre à se prendre en charge seul et à assumer tâches domestiques et rôle de parent comme on le demanderait à une femme.

La femme doit être l’égale de l’homme et participer à 50% (ou à hauteur de son salaire) aux dépenses du foyer mais tout en continuant à jongler entre sa vie de femme, celle d’épouse et celle d’avocate/enseignante/médecin/journaliste/infirmière/apicultrice/coûturière…

Elle doit aussi accepter, avec le sourire, les remarques sexistes sous peine d’être taxée de complexée et prouver qu'elle manque cruellement de sens de l’humour. Tous ceux qui n’ont jamais entendu dans une entreprise une femme dénigrée pour le simple fait d’être une femme, ou complimentée pour sa simple apparence physique, qu’ils me jettent la première pierre.

 

Ne soyons pas de mauvaise foi. Si certaines femmes ont peur de l’égalité de l’héritage, c’est qu’elles ont de bonnes raisons. Ce sont toutes ces raisons qui donnent aux femmes cette angoisse face à ce que l’égalité de l’héritage pourra leur ôter en matière de privilèges, tout en gardant intactes la lourdeur des tâches qui pèse sur leurs épaules. Oui car on parle d’égalité pour supprimer la pension en cas de divorce, d’instaurer l’égalité de l’héritage, supprimer les congés maternité payés et instaurer un total partage financier, mais on ne l’aborde jamais lorsqu’il s’agit de s’investir entièrement et complètement dans son foyer et ses enfants. Des tâches ingrates qui restent majoritairement, et naturellement, assumée par des femmes.

Cela certaines femmes l’ont compris. Sous couvert de religion, d’islam et d’autres arguments très faciles à assumer, elles restent attachées à ce confort de femme soumise, de femme au foyer, de femme à qui on cède la place assise dans le métro, de femme qui quitte le bureau plus tôt pour aller chercher ses enfants et de femme financièrement entretenue. Une situation qui arrange certains hommes car, eux aussi ont compris, qu’ainsi, personne ne leur demandera de changer une couche, de participer à l’éducation de leurs enfants ou d'apprendre à cuisiner.

Ainsi la place de chacun est claire et bien définie. Sans égalité, totale et absolue, chacun connait exactement la tâche qui lui incombe. Si un enfant est mal éduqué ou a des problèmes à l'école, si le diner n’est pas prêt et que les vêtements ne sont pas propres, c’est la femme qui est à blâmer. Si les courses ne sont pas faites et que les factures ne sont pas payées, c’est l’homme qui est fautif.

L’égalité dérange car elle menace de perturber un équilibre établi depuis toujours. Elle dérange les femmes qui veulent pouvoir bénéficier d’avantages, mais sans avoir à en assumer le prix et elle dérange aussi les hommes qui acceptent que les femmes participent aux dépenses et travaillent, mais tout en restant ceux qui portent la culotte dans le foyer.

L'égalité est plus dure à assumer car elle touche au confort de certains au profit d'une justice évidente et qu'on gagnerait à voir, enfin, instaurée. Une égalité qui se présente aujourd'hui comme une nécessité absolue, mais qui doit être totale et partagée afin qu'elle ne soit plus source d'angoisse pour des femmes à qui elle fait peur. Oui à l'égalité de l'héritage et oui aussi à l'égalité tout court !

 

Pour justifier toute cette peur, l’argument religieux, valable certes pour certains, n’est qu’un prétexte pour d’autres. Idem pour ceux qui avancent la thèse selon laquelle ”il y aurait tellement de sujets plus importants que l’égalité de l’héritage, qu'il n'est certes pas constructif de s’intéresser à ces futilités”. Et là encore, c’est une femme qui parle...

 

Par Synda Tajine
04/12/2018 | 15:59
6 min
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Commentaires (22)

Commenter

El Chapo
| 05-12-2018 15:05
Légalite dans l'héritage, ce dernier cadeau béni du Gourou RG offert par BaBa'Bouj à la secte nahdhaouite avant les élections de l'année prochaine ...

Justinia
| 05-12-2018 13:30
Bonjour,
J'ai lu votre commentaire suite à l'article de Mme.Tajine.Tout a été dit.Mon attention a été attirée par deux mots que vous avez d'ailleurs écrit en lettres majuscules:Rationalité et irrationalité.Souvenez vous de ce qu' a vécu Averroès pour avoir conseillé l'étude de la logique,les mathématiques et la philosophie bref le rationnel.Averroès,ce grand philosophe,médecin,mathématicien,commentateur d'Aristote dont on peut apercevoir son buste sur une penture du peintre de la renaissance Raphaël exposé au musée du Vatican ( L'Ecole d'Athènes ).Averroès ce Berbère a été trainé dans la boue,il a été exposé et humilié à la mosquée de Cordoue.Ibn Jubair lui a lancé à la figure:" Tu as été traitre à la religion".Selon Les historiens "La conséquence du traitement subi par Averroès fut grave pour le monde arabe:ce DERNIER PERDIT DèLORS TOUT CONTACT AVEC LE PROGRèS SCIENTIFIQUE" Voilà qui est dit.
Une des raisons pour lesquelles les islamistes ne veulent pas de la loi sur l'héritage car c'est une loi divine.Comme je l'ai déjà écrit pourquoi ne pas réintroduire La loi divine sur l'esclavage abolie par le Bey car elle va un peu trop loin.et les autre lois divines: l'amputation des mains etc..
Je vous rejoins sur l'irrationnel et le rationnel.

manixsv
| 05-12-2018 11:08
A prés tout, c'est a chaque couple de trouver son équilibre.
Le rôle de la loi ne devrait être que de protéger les plus faibles.... et éventuellement de favoriser ceux qui font le choix de l'égalité.

Mais l'héritage, cela ne concerne pas tant les couples que les fratries. Et sauf a partager des terres agricoles comme au 3e siècles, j'ai du mal à trouver une justification à faire une différence. Même religieuse d'ailleurs, puisque chaque camp est capable de trouver des versets justifiant sa position

Open-Sky
| 05-12-2018 10:58
C'est une évidence même que ce projet de loi causera très certainement la défaite de la gauche aux prochaines élections.
La sociétés tunisienne est profondément attachée à ses croyances et ses coutumes, et ne pardonnerais jamais à celui ou celle qui viendrait perturber ses convictions.
Les gauchos-sapiens se sont tiré une balle dans le pied en adoptant ce projet concocté par les penseurs du trente troisième degrés des loges maçonniques.
Pour Ennahdha ce n'est que du pain béni et un argument électoral de taille offert par ses adversaires politiques
Nharkom Zine

Wild bled
| 05-12-2018 02:02
L'égalité de l'héritage , n'est pas un piège. Je trouve que le titre de l'article est mal choisi. Chnowa, ma na3rfouch Tounes? Il est évident qu'il y a des manquements quant aux droits des femmes mais aussi quant à ceux des hommes. Il est bien de dénoncer certaines choses qui portent atteinte à la dignité et au droits des citoyens. Mais il faut voir les choses dans leur globalité dans un pays corrompu, livré a une honteuse injustice économique. La Tunisie est comme un bateau vétuste qui a plein de défauts. Même les sociologues ne sont pas réalistes, vu que, encore une fois , ils ne considèrent pas que beaucoup de phénomènes sont liés à d'autres phénomènes et qu'il y a des pressions politiques et sociales et même qu'il y a un travail qu'on doit faire sur soi-même. Par exemple, où voulez-vous que l'?tat trouve l'argent d'éventuelles allocations familiales comme ce qui se passe en Europe et je crois que l'exemple français est le plus connu; dans un pays où dérégulation économique ou libéralisation est la règle ? Prenons l'exemple de l'immobilier. Le citoyen, qui regarde un match de foot comme un idiot, ne sait pas que lorsqu'il vend un terrain pour la construction d'un logement à un prix relevant de la bestialité, il ne fait qu'accélérer le naufrage du bateau ,qui, au surplus, va libérer tout son fioul.

hourcq
| 05-12-2018 00:15
...un magnifique poème d'Aragon mis en musique et chanté par Jean Ferrat. Je souscris à 100% à cette chronique de Synda Tajine qui analyse très bien et de façon exhaustive la situation de la femme tunisienne et des rapports homme/femme dans le couple et dans la société. On pourrait d'ailleurs faire la même analyse dans d'autres pays dont la plupart tout de même essaient d'avancer dans le sens d'une meilleure éducation pour les filles et d'une réelle égalité de droits et de devoirs entre tous. Et , grâce à ces avancées, on peut espérer qu'il y aura de moins en moins de femmes passives et soumises résignées à leur sort. J'ai l'impression que ce sont les femmes qui tiennent la Tunisie à bout de bras dans ces moments difficiles et qu'elles font preuve de courage, de dignité et d'énergie face aux épreuves. C'est en ce sens que le poète a raison quand il nous dit que la femme est l'avenir de l'homme.

Gaddour
| 04-12-2018 23:11
Lors de l'abolition de l'esclavage en Amérique, de trés nombreux esclaves ont refusé d'être libres, de peur d'évoluer et prendre en mains leur destinée. pareils pour nos sorcières voilées qui ne provoquent que dégoût et rejet.

Maxula
| 04-12-2018 22:55
"la cause des femmes et de l'égalité des genres en général"

Vraiment ? Quels genres ?
Vous voulez peut-être dire "l'égalité des sexes" au lieu de "l'égalité des genres" ? Sachant qu'il n'existe que "deux sexes", l'homme et la femme, et non pas cette aberration des "genres", qui reste à prouver !

Que les femmes soient en majorité "contre l'égalité de l'héritage" n'obère en rien la logique de la justice "a minima" !
L'égalité dans l'héritage n'est qu'une liberté de plus, pas une liberté en moins !

"qu'elles doivent prouver leur existence dans l'entreprise"
Plutôt "justifier" que "prouver", car leur seule présence prouve leur existence !
C'est plus qu'une nuance, une différence !

Quant à "légalité de l'héritage", que l'on soit "pour" ou "contre" n'enlève rien à l'impérieuse nécessité d'instaurer, par voie légale, la possibilité d'avoir le choix de la prescrire à sa descendance par voie testamentaire, ou pas !
Les héritiers également, auront à leur tour le choix de faire jouer leur droit d'accepter ou de refuser de bénéficier de ladite loi.
Enfin, (et sans pédanterie), Sartre a dit qu'en écrivant, il ajoutait une perle au sautoir des muses.
Cette loi d'égalité dans l'héritage, sera une perle ajoutée au sautoir de La Liberté !
Maxula.

Abel Chater
| 04-12-2018 22:08
Que cette lucidité nous vienne de Synda Tajine, c'est un plus pour l'article lui-même. Et je confirme que ce même sujet est aussi valable à la lettre, même en Allemagne, en France et partout où les Tunisiens pensent que l'émancipation des femmes est à son top.
Le problème en Tunisie et partout dans le monde arabe et musulman, c'est qu'aucun Etat ne réserve une allocation spéciale pour garantir à la femme sa dignité, comme dans les pays industrialisés. Ni allocation de chômage ni allocation de logement, ni allocation de maternité ni rien du tout.
En Europe, tous n'arrivent à comprendre la survie de nos femmes, qu'en adéquation avec la sociabilité familiale chez les Musulmans. Ils savent que les membres actifs de la famille, remplacent l'ensemble du devoir de l'Etat envers les femmes.
Et pourquoi les hommes sont-ils responsables de leurs femmes au sein de la famille, c'est parce que n'importe où sur ce globe terrestre, la femme ne pourra se déplacer seule dans la vie nocturne, comme il est permis à l'homme. La vie de la femme ressemble partout dans le monde, à la vie d'une poule. Une fois que la nuit tombe, elle ne pourra plus sortir sans hommes.
Donc, il est plus lucide de laisser la femme vivre sa vraie vie et l'homme aussi. Toute autre manipulation politique, ne mènera la Tunisie que dans davantage de difficultés sociales et sociétaires, qui n'aideront ni femmes ni hommes.
J'ai entendu des femmes diplômées jusqu'à l'académie, se rouspéter à la radio, parce qu'elles occupent des postes de main d'oeuvres pour 300,- dinars le mois, qu'elles ne reçoivent qu'au hasard, après deux comme sept mois. Là, le président Béji Caïd Essebsi et sa Kalibe, sont absents au bois dormant. Ils ne font du vacarme, que pour voler l'héritage des autres. Une escroquerie flagrante.
Regardons vers la réalité réelle et essayons de faine de notre mieux, chacun de son côté. Ni moins ni plus.

HatemC
| 04-12-2018 21:25
C'est un exemple comme tant d'autres .. la femme Zarabe est sous développée et arriérée voir même attardée '?'

Le sport vecteur d'émancipation, c'est des KURDES qui hissent le drapeau Irakien, les irakiennes zarabes elles bullent et ajustent leur voile islamique '?' HC

https://www.msn.com/fr-fr/actualite/r-evolutions/au-kurdistan-le-sport-féminin-simpose-et-fait-gagner-lirak/ar-BBPBOQX?ocid=spartanntp