Intervention militaire en Libye : Aux portes de la Tunisie, la guerre
Une intervention militaire internationale est imminente en Libye, et semble être inéluctable aux dernières nouvelles. Après la prolifération des groupes terroristes dans le pays voisin, notamment Daech, et les échecs à trouver des solutions politiques pour éradiquer ces organisations, l’occident se prépare à intervenir sur le sol libyen. Prétexte de circonstance, aider la Libye à lutter contre le terrorisme et déloger Daech. Pour la Tunisie frontalière l’inquiétude est de mise et est bien réelle. Les répercussions d’une telle entreprise, et il y en aura, impacteront directement notre pays. A nos portes un scénario à l’iraquienne et une longue guerre se préparent.
Un signe de l’imminence d’une intervention étrangère en Libye est le dernier discours donné par le président de la République, Béji Caïd Essebsi, devant les chefs de délégations diplomatiques où il s’est inquiété d’une éventuelle intervention et demandé à être « consulté » avant toute décision.
« Nous sommes informés que les Libyens se préparent, peut-être, à certaines interventions étrangères et à des bombardements pour lutter contre Daech. Je m’adresse, et très clairement, aux amis qui pensent à cela de ne pas penser seulement à leurs intérêts. De penser aux intérêts des pays limitrophes et en premier la Tunisie. Consultez-nous, parce que ce qui peut être avantageux pour vous pourrait nous porter atteinte », a fait valoir le chef de l’Etat.
Des propos on ne peut plus clairs, alors qu’il a soutenu que seule une solution politique pourrait mettre fin au conflit libyen. « Il y va de l’intérêt de la Tunisie, de la région et du monde entier que la Libye soit unie et stable… Il est de la responsabilité de tous d’aider les Libyens à aboutir à une réconciliation générale et à achever leur transition et bâtir leur pays », a-t-il soutenu.
Sauf qu’en Libye, la situation se dégrade de jour en jour avec le blocage au niveau du processus politique qui devait apporter une solution pacifique à la crise. Sous l’égide de l’ONU la mise en place d’un gouvernement d’union nationale est dans l’impasse, en dépit des négociations de longue haleine. Quand bien même la composition de ce gouvernement sera annoncée, il lui serait ardu de prendre les rênes et de bénéficier de l’unanimité. Il faut dire que Tripoli est toujours entre les mains des autorités non-reconnues par la communauté internationale. Des autorités soutenues par des milices islamistes et hostiles à l’accord politique.
Par ailleurs, certains observateurs expliquent l’appui inconditionnel des grandes puissances au nouveau gouvernement libyen, par une stratégie visant à servir leurs intérêts et donner une couverture légale à la prochaine intervention militaire. Devenue puissante en Libye, l’organisation terroriste Daech, est le cheval de Troie par lequel viendra l’intervention étrangère. L’Etat islamique autoproclamé a récemment connu une grande avancée en Libye, en occupant plusieurs régions névralgiques du croissant pétrolier, notamment la ville de Syrte. L’organisation terroriste se rapproche de plus en plus du continent européen avec l’occupation des villes au bord de la Méditerranée. Quelques kilomètres seulement la séparent de l’Europe et cela constitue une menace de taille pour justifier une intervention militaire, outre la perte de l’une des plus importantes sources de production de pétrole…
C’est dans ce sens-là que les grandes puissances vont mettre en branle une action militaire qui prendra, vraisemblablement, la forme de frappes aériennes. Les bombardements auront pour but de détruire les centres de commandements, l’infrastructure utilisée par Daech, les camps d’entrainement ou encore les lignes et les réseaux de communication. Des troupes au sol, les rumeurs disent que plusieurs milliers de soldats de nationalités différentes seront déployés en Libye…
Dans cette guerre qui s’annonce sans merci, la Tunisie a légitimement exprimé son appréhension. Reçu par le président de la République, l’ancien chef de la diplomatie et chef de la Minusma, Mongi Hamdi a tiré la sonnette d’alarme. M. Hamdi n’y va pas par quatre chemins, estimant que la Tunisie payera le prix le plus cher et la plus grosse facture, en cas d’intervention militaire en Libye.
Pour le ministre de la Défense nationale, Farhat Horchani la Tunisie ne portera pas les armes contre la Libye et n’interviendra pas militairement dans le pays voisin. Des informations disent pourtant qu’il y aurait des négociations avec la Tunisie ou encore l’Egypte dans le but de « faciliter » l’intervention militaire. Les deux pays disposant de centaines de kilomètres de frontière avec la Libye… Le timing de l’annonce faite par le ministre de la Défense quant au parachèvement de la barrière de sable entre la Libye et la Tunisie n’est pas anodin. La Tunisie se prépare au pire. La barrière s’étend sur 250 km. « C’est important de le dire. Il faut que tout le monde le sache, aussi bien l’opinion nationale que l’opinion internationale », a-t-il déclaré. Et d’ajouter que des caméras de surveillance seront placées tout au long des frontières. L’Allemagne et les États-Unis vont aider militairement et techniquement la Tunisie à ce sujet. « Il y aura également une entraide en matière de renseignements avec les Américains »...
Des répercussions sécuritaires, qui résulteront d’une intervention qui s’annonce délicate et longue, la Tunisie devra se tenir à la plus haute vigilance. Déjà particulièrement touché par l’instabilité en Libye, notre pays a ressenti de plein fouet le chaos qui a prédominé dans la Libye voisine, sur les plans économiques et sécuritaires. La contrebande d’armes et l’infiltration d’éléments terroristes s’est intensifiée, profitant de la déliquescence des autorités libyennes. Il faudra également rappeler que les auteurs des attaques terroristes du Bardo et de Sousse, qui ont été revendiquées par Daech, ont été tous formés au maniement des armes dans des camps libyens, avant de rejoindre la Tunisie pour perpétrer leurs plans.
Avec cette nouvelle donne la Tunisie est tenue de redoubler de vigilance et de prendre toutes les précautions nécessaires. Plusieurs rapports internationaux et des sources officielles tunisiennes, affirment que près de 5000 combattants tunisiens évoluent dans les rangs des organisations terroristes en Libye, en Irak et en Syrie. Il faudra s’attendre à plusieurs mois de bombardements et d’affrontements en Libye, ce qui voudrait dire que des milliers de migrants, voire plus, afflueront vers le sol tunisien pour fuir le combat. En 2011, au début du chaos en Libye, plus d’un million de réfugiés ont été accueillis sur notre territoire.
Selon l’expert économique, Radhi Meddeb, près de 2 millions de réfugiés devront être attendus en Tunisie, avec cette guerre, et qu’il faudrait réfléchir à la logistique de gestion de ces réfugiés, sans ressources et fuyant la guerre, qu’il faudra nourrir, loger et penser aux centaines de milliers d’enfants scolarisés à prendre en charge. Il a ajouté que la guerre contre Daech sera longue, et que la Tunisie devra compter sur l’aide internationale pour faire face à cette guerre qui aura sans doute des répercussions sur la stabilité sécuritaire et économique du pays. Radhi Meddeb a appelé le gouvernement à faire pression sur la communauté internationale pour assurer l’hébergement des personnes fuyant la guerre, mettant en garde contre l’infiltration des terroristes parmi les réfugiés. Et c’est justement un tel scénario que la Tunisie devra éviter par tous les moyens possibles. Avec les déplacés libyens fuyant les bombardements et demandant l’asile sur notre sol, le péril d’une infiltration d’éléments terroristes est plus que probable et doit être jugulé.
Pour l’heure la Tunisie attend les développements de la situation qui semblent se préciser. Outre le danger que cela représente pour le pays, nous nous retrouveront en plein cœur d’un conflit qui s’éternisera à coup sûr, déstabilisant toute la région et dont résultera une profonde reconfiguration géopolitique.
Ikhlas Latif