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Chroniques
Interdire les Israéliens d'entrée en Tunisie aurait pu avoir du sens si…
23/04/2014 | 16:26
4 min
Par Marouen Achouri

C'est la polémique du moment. On tient enfin la première "affaire" de ce gouvernement de technocrates si lisse et si parfait. C'est ce que doivent penser les tenants de la thèse selon laquelle ce gouvernement souhaite normaliser les relations avec Israël. Tout est parti d'une nouvelle selon laquelle une soixantaine de touristes israéliens se promèneraient librement en Tunisie. Ceci se serait fait avec l'autorisation du gouvernement.

Ni une ni deux, les représentants du parti Wafa, entres autres, sont montés au créneau et ont fait distribuer une pétition pour auditionner la ministre du Tourisme et le ministre chargé de la Sécurité. La normalisation avec Israël est généralement un sujet porteur pour ce type de formations politiques. Tout le monde s'évertue donc à crier sa haine envers l'Etat israélien et à plonger dans les profondeurs du mélancolique et du larmoyant en évoquant la souffrance du peuple palestinien. De là, il n'y a qu'un pas pour penser à une campagne électorale dont l'un des piliers serait le soutien indéfectible à la cause palestinienne.

Juger du bien-fondé de cette décision ou de cette démarche n'est pas le sujet. Il est juste étonnant de voir à quel point ces personnes sont inconséquentes. Peut-être qu'il faut fermer les frontières tunisiennes aux Israéliens, peut-être qu'il faut les laisser venir et ne pas envoyer de message négatif au reste du monde dans une période où la Tunisie est en crise économique. Mais il existe d'autres dossiers sur lesquels les élus de l'ANC auraient mieux fait de se pencher.

Le président de la République, Moncef Marzouki, se transforme, une fois par trimestre, en pigiste pour le site d'Al Jazeera. Il y écrit des articles et expose sa philosophie et sa manière de penser. Toutefois, le Qatar est un pays qui retient un citoyen tunisien contre son gré. Mohamed Bounab est un journaliste tunisien séquestré dans ce pays du Golfe. Cela ne gène-t-il pas le président-pigiste? N'est ce pas un sujet assez porteur pour nos élus de l'ANC qui ne l'ont presque jamais évoqué? Fanfaronner devant les caméras et pleurnicher pour les Palestiniens est, semble-t-il, bien plus agréable pour les chevaliers de la cause !

Pourtant, aucun grief n'est porté à la présidence de la République concernant cette pratique qui continue depuis des mois. La présidence aurait pu employer le temps perdu à écrire des articles pour Al Jazeera ou à confectionner le fameux Livre noir pour ramener ce citoyen tunisien à son pays. Non seulement ceci n'a pas été fait, mais notre président a décoré le prince du Qatar lors de sa venue en Tunisie ! Nos chers petits élus n'y trouvent rien à redire?

Autre sujet qui aurait dû attirer l'attention de nos élus : Le kidnapping de deux Tunisiens en Libye. L'un est diplomate et l'autre est employé local. L'ANC aurait pu demander à convoquer le ministre des Affaires étrangères, Mongi Hamdi, pour qu'il explique comment cela est arrivé et quelles sont les solutions envisagées pour mettre un terme à cette situation. Vu la sensibilité du sujet on aurait même pu comprendre que cela se fasse dans une séance secrète interdite aux médias. Mais non. On préfère s'égosiller sur la position tunisienne vis-à-vis de quelques dizaines de touristes. Quand on regarde l'intérêt porté à cette question, il est facile de conclure que cette affaire tient plus par son aspect purement politique et l'opportunité qu'elle donne de taper sur "l'autre camp", que par une réelle croyance. Si les élus étaient vraiment "habités" par cette cause, ils auraient contesté l'accolade entre Hamadi Jebali, à l'époque chef du gouvernement, et John Mc Cain, sénateur américain ouvertement pro-israélien.

Par ailleurs, ces élus ont été incapables de voter l'interdiction de la normalisation avec Israël. Ils ont également été incapables de respecter leur mandat initial d'un an pour finir leurs travaux. Ils sont également coupables d'un chantage scandaleux selon lequel il fallait qu'ils obtiennent leurs primes avant de finaliser la Constitution. Ils nous ont offert un niveau de débat tellement bas. Ils sont incapables de respecter les horaires et de constituer un quorum pour que les séances puissent commencer à l'heure. Il faudrait plus qu'un article pour détailler les griefs que l'on peut adresser à cette assemblée.

Pour toutes ces raisons, l'Assemblée n'a aucune crédibilité pour convoquer qui que ce soit et le questionner sur des problématiques morales. On ne donne pas de leçons aux autres quand on est incapable de les respecter. L'ANC est arrivée à une telle rupture avec l'opinion publique qu'aucune de ses démarches ne peut être bien vue. Il est possible qu'il soit réellement justifié de questionner des ministres concernant les Israéliens qui se trouveraient sur le territoire tunisien, mais il est complètement exclu que ce soient les élus de l'ANC qui s'en occupent. Eux qui n'ont respecté qu'une toute petite partie de leurs engagements.

L'ANC et ses élus sont arrivés à une telle rupture avec l'opinion publique, à une telle déconnexion du pays, qu'ils ne sont plus crédibles quelle que soit la cause qu'ils veulent défendre. Pire encore, ils affaiblissent toute cause qu'ils soutiennent ou dont ils se saisissent. La "plus haute autorité du pays" comme les élus se plaisent à le rappeler est devenue une mascarade, une tribune ouverte aux populismes et aux campagnes électorales à peine déguisées.

Après avoir demandé sa dissolution, l'opinion publique, aujourd'hui, considère l'ANC comme un mal qu'il faudra supporter jusqu'aux prochaines élections. Personne ne sait vraiment à quoi elle sert. Quand on parle aujourd'hui de restrictions budgétaires, de la nécessité de se serrer la ceinture, tous les regards se tournent vers ses élus surpayés et inefficaces. On peut douter du fait qu'ils renoncent à leurs salaires pour le temps qu'il leur reste à faire.
23/04/2014 | 16:26
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