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Chroniques
Ils allument le feu et ils s'étonnent de la fumée
24/04/2012 | 1
min
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Par Nizar BAHLOUL

Six mois après les élections ayant désigné les membres chargés de rédiger une Constitution, pas une ligne n’a encore été écrite. Pas une ligne !
Au lieu de quoi, on continue à multiplier les diversions. Dernière en date, celle de la privatisation de la Télévision publique. Qui a lancé cet os qui a dévié le regard de l’ensemble des observateurs ? Réponse : Ameur Laârayedh, élu d’Ennahdha, précédé par son président (non provisoire) Rached Ghannouchi.
Le même Rached Ghannouchi qui, il y a quelques jours, s’est réuni avec les patrons de médias pour nous dire qu’il faut que l’on pense ensemble à l’avenir du pays, qu’il faut que l’on se comprenne, qu’on dialogue ensemble.
Le sit-in, soi-disant pacifique, devant la Télévision publique, a failli tourner au cauchemar. Les conférences de Youssef Seddik, Olfa Youssef et Jaouhar Ben Mbarek ont failli tourner au cauchemar.
La Tunisie post-révolutionnaire fait face aujourd’hui à un début de drame. A un début de guerre civile.

Ennahdha a beau se défendre d’être derrière ces escalades, ces sit-in, ces provocations, ses propos ne sont plus crédibles. En tant que parti au pouvoir, il n’a que peu, souvent pas du tout, dénoncé ces violences et ces agressions. Ses ministres au gouvernement, de l’Intérieur et de la Justice, n’ont quasiment pas réagi pour mettre un terme au sit-in provocateur et indécent face à la Télévision tunisienne.
Ce sont les élus d’Ennahdha qui ont proposé de couper les pieds et les mains. Ce sont les élus d’Ennahdha qui ont proposé de privatiser la télé. Ce sont les élus d’Ennahdha qui ont avoué (en pleine assemblée !) être entrés au siège de la Télévision pour s’ingérer dans la ligne éditoriale de la chaîne publique et de s’immiscer dans ses affaires ! Ce sont les amis d’Ennahdha qui ont appelé à la mort de BCE.

Comme si Ennahdha ne suffisait pas, voilà que le locataire du Palais de Carthage se met, à son tour, à allumer d’autres feux.
Une seconde fois, Moncef Marzouki ose critiquer ses compatriotes dans un média à l’étranger. Après la Mauritanie, c’est au Qatar que le président de la République s’est permis d’épingler l’opposition et les médias.
Est-ce une attitude décente d’un président qui veut calmer son pays et qui, en théorie, est le président de tous les Tunisiens ?
Invité sur la chaîne publique, lundi 23 avril, son conseiller Samir Ben Amor s’est plaint que la chaîne publique ne diffuse pas les enregistrements que lui envoie la présidence ! Tellement aveuglé par son pouvoir, M. Ben Amor ne mesure plus la gravité de ses propos.
Dans aucune démocratie, la présidence n’envoie à la télévision ce type d’enregistrements prêts à être diffusés !

Dans aucune démocratie, les chaînes publiques ne diffusent les activités ordinaires des chefs d’Etat et de gouvernement. Que MM. Marzouki et Ben Amor regardent le journal télévisé de la BBC, de la RAI ou de France 2 et ils constateront que ces pratiques ne font plus partie du paysage médiatique. Ces pratiques n’existent plus depuis des décennies. Si la présidence (du gouvernement ou de la République) souhaite que ses activités importantes soient diffusées, elles n’ont qu’à ouvrir leurs portes aux médias et c’est à ces médias d’enregistrer ce qu’ils veulent et de diffuser ce qu’ils veulent.
Dans une démocratie, un média (qu’il soit public ou privé) n’est ni une caisse de résonnance du régime, ni une boîte de propagande. Les médias tunisiens l’ont suffisamment été et ont dit basta un certain 14 janvier 2011.

En théorie, l’Etat incarne le droit, la légalité et le pouvoir. En théorie, le parti au pouvoir incarne le bon sens et se doit de prendre de la hauteur.
Or, si le pouvoir laisse allumer les feux et allume, lui-même, d’autres feux, que doit-on attendre du reste du paysage politique, social et médiatique ?
La Tunisie est en crise et a besoin de toutes ses composantes. La Tunisie a besoin de dialogue. La Tunisie a besoin de dirigeants qui incarnent l’Etat et reflètent le prestige de l’Etat. La Tunisie a besoin de dirigeants qui prennent suffisamment de hauteur pour ne s’occuper que de l’essentiel et non des futilités.
Un président de la République qui s’occupe à épingler ses adversaires politiques (y compris au sein de son propre parti!), ne reflète nullement cette image de l’Homme d’Etat dont la Tunisie a besoin.
Un conseiller du président qui ne pense qu’à la belle image de son chef dans le journal télévisé ne peut être considéré comme un conseiller brillant capable d’orienter le président dans le bon sens.
Des élus du parti au pouvoir qui se permettent des provocations, à la fois inutiles et improductives, donnent l’image qu’ils sont incapables de répondre aux critiques par des actes concrets.

Quand l’opposition provoque, elle est dans son rôle. Quand les médias épinglent et ne parlent que du 1% qui ne va pas dans le pays, ils sont dans leur rôle.
Que le pouvoir actuel ne trouve pas son compte dans ces critiques, cela va de soi. Mais cela est secondaire devant l’intérêt suprême de la Tunisie qui réside dans une démocratie solide. Et cette démocratie ne saurait jamais exister sans des médias libres et une opposition forte.
A force de s’attaquer aux uns et aux autres, le pouvoir actuel pense renforcer sa position (et il n’a pas tort) vis-à-vis de son électorat encore aveuglé par sa victoire.
Mais ce pouvoir ne se rend pas compte qu’il est, en même temps, en train de fragiliser la démocratie naissante.
Laisser les médias se réformer et l’opposition se construire est l’unique garant d’une future démocratie en Tunisie.
A moins que nos dirigeants ne veulent créer une théocratie dans le pays…
24/04/2012 | 1
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