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Tribunes
Il y a 8 ans, Ennahdha ouvrait la brèche !
18/10/2014 | 19:19
4 min
Il y a 8 ans, Ennahdha ouvrait la brèche !
Par Salah Zeghidi
 
Le 18-Octobre restera un jour sombre dans l'Histoire politique de notre pays, et plus particulièrement dans celle de la gauche et du mouvement démocratique en Tunisie. En 2006 en effet, et dans la foulée de la grève de la faim organisée le 18 octobre 2005 par un groupe de dirigeants politiques de l'opposition, dont Ennahdha, est annoncée la constitution du Comité du 18 Octobre. Une initiative prise surtout par Ahmed Néjib Chebbi (PDP) et Rached Ghanouchi (Ennahdha) - de son exil à Londres.  Ce comité a regroupé ces deux partis et le Poct de Hamma Hammami, le Forum de Mustapha Ben Jaafar, le CPR de Marzouki (qui se retirera très vite) et quelques indépendants dont Ayachi Hammami notamment.

Ce fut en réalité un évènement majeur et qui fit du bruit! C'était en effet la première fois que des composantes de la gauche et du mouvement démocratique s'alliaient au mouvement intégriste de Ghanouchi et s'engageaient avec les obscurantistes dans des actions communes structurées et appelées à être permanentes contre le régime despotique de Ben Ali. Rassemblés sur la base de la défense des libertés publiques et individuelles, quotidiennement bafouées par le régime destourien de Ben Ali, les partis démocratiques ayant franchi le pas de s'allier avec Ennahdha, ont en réalité accepté de lui donner publiquement et officiellement une caution de sérieuse dans l'engagement démocratique. Ceci traduisait leur conviction (toute nouvelle) qu'Ennahdha avait changé et qu'il était sur la voie d'un véritable "aggiornamento" remettant en cause ses plus profondes options : sur la relation entre religion et Etat, sur la femme et les droits des femmes, sur les droits de l'homme et leur universalité etc.

Cette alliance conjoncturelle fit en vérité l'effet d'une bombe. Rached Ghannouchi (qui trouva quelques réticences dans les rangs les plus fanatiques de son organisation) cria victoire ! Voilà Ennahdha, section tunisienne des Frères Musulmans, non seulement reconnue par une partie des "3elmaniyines", mais engagée avec ces derniers dans un Front d'action commune, et d'action commune pour la liberté et la démocratie s'il vous plait!

Alors que partout dans le monde , monde musulman compris, les Frères Musulmans et les libertés étaient considérés comme antinomiques, voilà que Ahmed Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaafar, Hamma Hammami et Moncef Marzouki lui accordent très généreusement un certificat de "virginité démocratique". Cette initiative a surpris et "désarçonné" les milieux démocratiques, les intellectuels, les artistes, à l'intérieur du pays et dans l'émigration. Des prises de position, des pétitions de rejet et de dénonciation se multiplient. Ettajdid, le parti Socialiste de gauche et le Parti Patriotique Démocratique (les deux derniers en cours de formation), beaucoup de militant(e)s de gauche s'opposèrent avec détermination à cette grave déviation que rien ne justifiait.

Ces alliances sans principes et ces calculs politiciens sans vergogne portent un tort extrême au mouvement démocratique et surtout au pays ! La tentative de justifier cette impardonnable déviation par la nécessité de s'unir pour combattre Ben Ali et sa dictature ne pouvait convaincre personne. En octobre2004, l'initiative démocratique et progressiste est constituée avec Ettajdid, le groupe de Med Kilani (il deviendra quelques mois plus tard le PSG), et des centaines de militants indépendants de gauche pour participer aux élections législatives et, pour la 1ère fois dans l'histoire de la Tunisie, aux élections présidentielles avec le candidat unitaire Mohamed Ali Halouani. Ahmed Néjib Chebbi et Hamma Hammami refusèrent toutes les propositions d'unité qui leur ont été faites par l'Initiative et Ahmed Néjib Chebbi refusa de soutenir la candidature de Halouani et d'appeler à voter pour lui contre Ben Ali. Il présenta ses propres listes aux élections législatives. Alors l'unité est bonne contre Ben Ali avec les obscurantistes et elle est mauvaise contre Ben Ali avec les démocrates.

Je suis de ceux qui pensent que l'objectif primordial que Rached Ghannouchi s'est fixé depuis 20 ans : c'est de parvenir à banaliser Ennahdha. C'est à dire arriver progressivement à ce que les gens, les responsables politiques, les militants de la société civile, les syndicalistes, les intellectuels et les artistes, les journalistes, les femmes même, finissent par regarder Ennahdha comme un parti ordinaire, de droite, conservateur certes, mais un parti comme les autres.

Et, pour notre malheur, il y est largement parvenu ! Les initiateurs "démocrates" avec Enndhah du Comité du 18-Octobre ont ouvert le chemin, généreusement. Et la consécration est venue après le soulèvement du 14-Janvier : Rached Ghanouchi rentrant triomphant d'exil et son parti obtenant haut la main la légalisation, dans l'acquiescement général, y compris bien sûr celui de la gauche, alors que c'était là une flagrante violation de la loi sur les partis, qui n'accorde pas de légalisation à tout parti "à référence religieuse". Ennahdha prend le pouvoir en octobre 2011 le pouvoir et légalise  quelques mois plus tard, dans l'assentiment général cette fois encore, "Hizb Ettahrir", qui appelle au Califat et à la Chariâa ne reconnait aucune existence à l'Etat Tunisien, ne reconnait pas le régime républicain, ni la démocratie, ni les élections. Les trois années de misère, de régression tous azimuts, de violence atteignant l'assassinat politique que connait le pays, c'est cela le prix de la "banalisation" d'Ennahdha, et ce sont les artisans "démocrates" du 18-Octobre qui ont contribué à ouvrir devant notre pays les portes de l'enfer d'Ennahdha et ses dérivés.
18/10/2014 | 19:19
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