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Chroniques
Non M. Jomâa, on n'a pas oublié l'économie !
10/09/2014 | 16:02
4 min
Par Marouen Achouri

"On a oublié l'économie mais l'économie ne nous a pas oubliés" avait dit Mehdi Jomâa. Qui est le "on" dans cette phrase? Est-ce les Tunisiens? Le gouvernement? La question se pose parce que la population, dont le pouvoir d'achat a dégringolé et qui a vu la pression fiscale qui lui est infligée augmenter, aurait bien voulu "oublier" l'économie.

De même pour les hôteliers, les industriels ou les investisseurs. Ils auraient tellement voulu oublier l'économie et sa situation désastreuse. Ils auraient certainement voulu avoir un gouverneur de la Banque centrale qui ne dit pas que l'économie est en restauration pour, quelques mois plus tard, déclarer que tous les voyants sont au rouge.

L'économie a toujours été le principal problème, depuis le temps où l'on réclamait du travail dans les rues de Tunis un certain 14-Janvier. L'économie ne peut pas être oubliée quand pour un appel d'offres public, une entreprise tunisienne se retrouve en concurrence directe et égale avec ses consœurs chinoises ou européennes. En Algérie, par exemple, il existe un système permettant de favoriser les entreprises nationales grâce à une mesure qui leur donne 25% de la valeur du marché en bonus. Concrètement, pour un même appel d'offres, si une entreprise chinoise présente une facture de 100 millions et qu’une entreprise algérienne en présente 124 millions, c’est la société locale qui remportera le marché, car elle reste sous la barre des fameux 25%. La concurrence sauvage qui est permise en Tunisie entre les entreprises nationales et extérieures fait que l'on peut avoir des routes ou des projets exécutés par des entreprises étrangères alors que le Tunisien ne fait pas marcher son affaire et se retrouve livré aux dangers du chômage et de la précarité.

On ne peut pas accuser, par ailleurs, la société civile d'avoir oublié l'économie. Que d'articles, d'interventions médiatiques et de conférences ont été écrits et organisés pour alerter sur la gravité de la situation économique. A tel point que la population tunisienne a pu, par la même occasion, faire la connaissance de ses experts économiques.

Mais de qui parle Mehdi Jomâa en disant qu'on a oublié l'économie? Peut-être parle-t-il de ceux qui l'ont précédé à la tête du pays? Pourtant ceux-là n'ont fait que parler d'économie! Elyes Fakhfakh, alors ministre, pouvait prétendre à la palme du plus grand nombre d'apparitions médiatiques. On parlait alors de "l'épouvantail" économique qui serait agité par certains experts pour déstabiliser le gouvernement et mettre le fameux bâton dans la célèbre roue.

Bref, tout cela a précédé la grande et belle conférence des investisseurs qui a eu lieu le 8 septembre 2014. Selon le discours officiel, les investisseurs du monde entier se sont bousculés pour venir à Tunis proposer leur aide et leurs investissements. La conférence, qui avait été précédemment nommée "conférence des amis de la Tunisie", a permis de drainer de l'argent, de rétablir la confiance, de conforter les bailleurs de fonds et autres expressions mielleuses du genre.

Pourtant, aujourd'hui, on ne peut recevoir aucun millime en termes d'investissement. La raison est d'une simplicité affligeante : l'assemblée n'a pas encore voté les lois nécessaires pour pouvoir recevoir et mettre en œuvre les investissements escomptés. Le code des investissements s'est perdu dans les couloirs et les tiroirs d'une assemblée qui a mué d'un groupe d'incompétents à une horde de futurs candidats, qui, par conséquent, n'ont plus de temps à consacrer à des broutilles comme l'investissement ou la lutte contre le terrorisme, la chaise avant tout!

Un autre "événement" important a eu lieu hier, le 9 septembre. La présentation du super, méga, ultra, giga projet de Tunisia ecnomic city. Alors, tenez-vous bien, il s'agit d'un projet qui se propose de construire un tas de choses allant de la clinique à la tour en passant par un circuit de Formule 1. Le budget total de ce projet, tel qu'annoncé par ses instigateurs est de 50 milliards de dollars! Il doit drainer 5 à 7 milliards d'investissement par an, attirer 2 millions de visiteurs et augmenter le PIB du pays de trois points!
Pour résumer à l'adresse des néophytes en économie, il s'agit là de chiffres qui pourraient être acceptables si l'on parle de l'économie d'un petit pays! Des sommes extravagantes sont proférées sans aucune mesure et surtout, sans aucune réalité. Mais comme dit l'adage : "Plus c'est gros, plus ça passe!". Il faut également noter la présence de Mustapha Ben Jaâfar à cette annonce, celui qui avait juré qu'il ne s'allierait pas avec Ennahdha avant les élections d'octobre 2011. On aurait dû se douter que quelque chose clochait…

Même si l'on essayait d'oublier l'économie, cette dernière se rappellerait à notre bon souvenir aussi cyniquement qu'une chronique de Gaspard Proust. C'est qu'elle nous fait mal cette maudite économie! Alors comment l'oublier? Comment quelqu'un pourrait oublier une rage de dent qui l'empêche de manger? Récemment, un groupe tunisien de professeurs en paramédical a interpellé une jeune étudiante qui disait faire le jeûne tous les jours. Après l'avoir questionnée, la jeune fille a avoué qu'elle ne pouvait manger qu'une fois par jour par manque de moyens. Du coup, elle en profite pour jeûner… Est-ce qu'elle l'a oublié l'économie, elle?

10/09/2014 | 16:02
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