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Tribunes
Lettre ouverte à M. Béji Caïd Essebsi
16/08/2014 | 11:49
5 min
Lettre ouverte à M. Béji Caïd Essebsi
Par Abdelaziz Belkhodja


M. Béji Caïd Essebsi, « Nidaa » est « l’Appel » auquel d’innombrables Tunisiens ont répondu au lendemain des élections de 2011 qui ont vu les héritiers naturels de la révolution, les nationalistes progressistes, atomisés à cause de leurs égos.
La société civile s’est alors mobilisée, dès janvier 2012, sans aucun appui politique, pour défendre les valeurs d’une Tunisie en danger de mort.
Lors de la création de Nidaa, les Tunisiens soucieux de l’avenir de leur pays ont vu en lui le mouvement qui allait enfin dépasser les égos et défendre l’histoire, l’indépendance, la modernité et la révolution de leur pays confisqué par des usurpateurs d’un autre temps et d’un autre monde, à l’image des intégristes prenant d’assaut l’horloge de l’avenue Bourguiba pour y planter leur drapeau noir à quelques mètres du bureau du ministre de l’Intérieur.

M. Béji Caïd Essebsi, un nombre considérable de Tunisiennes et de Tunisiens ont participé au combat contre l’obscurantisme, reçu des menaces de mort, subi des attaques sauvages et des campagnes de dénigrement, le tout dans l’indifférence et parfois même la complicité des autorités de l’époque.
Nous sommes également conscients du combat personnel que vous avez mené contre tous ces dangers, combat qui, rappelons-le, a entraîné des dizaines de morts, dont des hommes politiques, et des centaines de blessés.
C’est donc en connaissance de cause que nous vous écrivons. En connaissance du chemin parcouru et en connaissance du combat mené contre des parties ayant d’autres objectifs que l’intérêt national et disposant de moyens faramineux pour y parvenir.

Mais, M. Béji Caïd Essebsi, il faut se souvenir que les centaines de milliers de Tunisiens et de Tunisiennes qui sont régulièrement descendus dans la rue l’ont fait pour défendre la Tunisie et jamais un parti.
Tous savent que Nidaa est aujourd’hui le mieux placé parmi les partis dits « nationaux progressistes », et ils sont prêts à le soutenir.
Sauf que Nidaa traîne des tares qui, à deux mois d’une échéance cruciale pour le pays, sont insupportables. Elles donnent à ces Tunisiens l’impression que Nidaa profite de sa position dominante et de la situation tragique dans laquelle se trouve le pays, pour prendre en otage ses éventuels électeurs.
Ces tares, M. Béji Caïd Essebsi, personne, même au sein de vos instances, n’en comprend la persistance, surtout que leur éradication pourrait entraîner un engouement interne et externe qui porterait Nidaa aux nues et lui accorderait la confiance d’une majorité absolue des Tunisiens.
Plus encore, M. Béji Caïd Essebsi, ces maux sont si faciles à éradiquer, que leur pérennité en devient louche…
Dans ces circonstances, les maintenir est un non-sens, surtout que c’est de l’intérêt de la Tunisie qu’il s’agit et que l’engouement des Tunisiens pour Nidaa tient justement à ce que ce parti semblait, jusqu’à il y a quelques mois, dépasser les défauts qui ont détruit les autres partis.

En clair, Nidaa se comporte comme un lion qui a une épine à la patte.
Au lieu de rugir et de guider les Tunisiens vers la victoire avec un esprit conquérant, il se lamente, tourne en rond et ses lieutenants eux-mêmes semblent tétanisés par cette épine.
Ces maux sont, dans l’ordre :
- l’absence de structuration d’un parti, pourtant appelé à gouverner.
- l’absence du principe démocratique
- la présence, au plus haut niveau, de népotisme

En ce qui concerne la structuration, à chaque fois que l’on pose la question à des membres influents de Nidaa, ils répondent que le parti ne tient que par son président, et que si jamais celui-ci décide de mettre au premier plan un autre candidat que lui, le parti ne s’en relèverait pas.
Si telle est la réalité, M. Béji Caïd Essebsi, si le bureau exécutif de Nidaa est incapable, à deux mois des élections, de prendre une décision aussi fondamentale que celle de désigner un numéro deux, un autre candidat que vous à la présidentielle ou à la Primature, il faut alors considérer que le pays est dans une très mauvaise passe et que ni Nidaa ni qui que ce soit ne pourra jamais le sortir de ce chemin de la perdition vers lequel le poussent les égos.
A ce propos, Monsieur, vous avez l’impérieux devoir de forcer la décision quel qu’en soit le prix, car l’objectif n’est pas d’atteindre le pouvoir, mais d’obtenir la réussite de ce pouvoir. La menace de l’obscurantisme restera dressée et ne sera brisée que par une législature réussie.
Pour réussir, Nidaa doit pouvoir gouverner en paix. Or, quelle équipe gouvernementale pourrait sortir d’un groupe incapable de s’entendre sur les fondamentaux de l’intérêt du pays et du parti?

Autre chose, Monsieur Béji Caïd Essebsi, chose dont personne, peut-être, ne vous parle. Et si à une semaine des élections, après un surmenage dû aux fréquents déplacements qu’une campagne électorale impose - Dieu vous en garde et nous en garde aussi - , vous avez un problème grave de santé ? Va-t-on alors voir Nidaa exploser pour rejoindre les pléiades de partis inconsistants, et la Tunisie sombrer à nouveau aux mains d’intérêts étrangers?

Toutes ces questions sont solubles, selon un principe toujours absent de nos pratiques politiques. Un principe au nom duquel a été faite cette révolution dont aucun homme politique n’a su canaliser la puissance, car elle est justement dirigée contre le principe personnel. Elle est fondamentalement collégiale et ne peut, de ce fait, se dompter que par la collégialité.
Ce principe c’est la démocratie, complètement absente des pratiques de gouvernance. Pourtant, sa capacité de résoudre les conflits est parfaite et, si son principe est accepté, ceux qui le réfutent se mettent en porte-à-faux. Pourquoi ce principe n’est pas appliqué, même au sein d’un groupe coopté ? Terrible question !
Est-ce pour des raisons de financement ? Est-ce pour des questions de sauvegarde d’intérêts acquis ? Est-ce pour des questions d’égo ? Quelle que soit la raison, elle reste primaire et indigne d’un parti de gouvernance, car vous savez très bien que si Nidaa appelle sincèrement ses sympathisants à éviter des influences occultes, à acquérir leur carte d’adhésion, il y aura des centaines de milliers de Tunisiens qui le feront, dans un élan spontané et salvateur.
N’hésitez pas M. Béji Caïed Essebsi ! Seul l’intérêt du pays compte. Le reste, l’argent, vous savez très bien que c’est très facile à obtenir pour une formation susceptible de vaincre.

Quand au troisième mal que traîne Nidaa, c’est celui du népotisme. Mal que traînent la plupart des partis, certes, mais un parti qui aspire à gouverner devrait réaliser que c’est à cause d’un problème similaire que l’ancien régime est tombé. L’ignorer, c’est ignorer les centaines de morts et les milliers de blessés qui se sont soulevés contre un pouvoir miné par le népotisme. L’ignorer, c’est aussi ignorer l’Histoire. Et ignorer l’Histoire, c’est miner l’avenir.
16/08/2014 | 11:49
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