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Chroniques
Le gouffre vertigineux du déficit commercial
10/04/2014 | 1
min
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Par Mourad El Hattab*

Le fait est là, les chiffres relatifs aux échanges extérieurs à la fin du premier trimestre de l’année en cours, publiés officiellement et relayés, ces derniers jours, par les médias, traduisent un déficit monumental. La situation était attendue vu le grippage de l’appareil productif et la chute de l’encours des investissements directs étrangers. Deux questions fondamentales se posent : la situation est-elle soutenable indéfiniment ? Et quel sera son impact en termes de risque de change ?

Globalement, les données déclarées par L’Institut national de Statistique (INS) montrent une aggravation du déficit commercial qui s’est creusé de 2.418,9 millions de Dinars au terme du mois de mars 2013 à 3.290,3 à la fin du premier trimestre de l’année en cours.
L’écart a été observé au niveau du régime général et s’est accentué, essentiellement, en ce qui concerne les groupements sectoriels les plus pesants, à savoir, l’agriculture et les industries agro-alimentaires, les industries mécaniques et électriques ainsi que les autres industries manufacturières.

La stabilité de la balance alimentaire est donc en jeu. La chute se rapportant au secteur industriel illustre un dysfonctionnement de taille au niveau du marché des biens et services vu les accroissements différentiels respectifs des importations des biens d’équipement et des matières premières et semi-manufacturées de 5,4% et 3% au cours de la période d’analyse.

Bref, la lecture des chiffres précédents doit être complétée par une évaluation d’impact de la dégradation des termes des échanges extérieurs sur la balance des transactions courantes et le compte de capital du pays. Ce sont des éléments clés pour estimer le degré de sévérité des risques de liquidité et du change au cas où le rythme de l’aggravation du déficit commercial s’amplifie davantage et perdure.

Vue sur la position globale extérieure de la Tunisie

L’analyse de la solvabilité d’un pays s’effectue par l’étude de ses possibilités de respecter ses engagements du remboursement de sa dette. Ce, à travers le financement de ses besoins, à cet effet, et qui se mesurent par les variations en valeur des soldes de sa balance des opérations courantes et de son compte du capital.
La balance et le compte en question sont des documents statistiques qui rassemblent les transactions économiques et financières pour retracer les évolutions des avoirs et des engagements nationaux.

En Tunisie, d’après les paramètres édités par La Banque Centrale de Tunisie (BCT), l’état des transactions courantes a présenté un solde déficitaire, fin 2013, de 6.437 millions de Dinars contre un gap de 5.812 millions de Dinars au 31 décembre 2012. Pour ce qui est du compte du capital et des opérations financières, le solde est passé de 7.830 millions de Dinars à 5.343 millions de Dinars durant la même période.

Le solde général s’est largement détérioré pour se situer à –1.095 millions de Dinars contre 2.138 millions de Dinars durant la période 2012-2013. Il s’agit d’une situation inédite au vu du fait que le pays a profité, dans ce laps de temps très court, d’une injection de liquidité colossale en contractant des milliards de Dinars de dettes. Ceci traduit clairement que le déficit commercial de la Tunisie sera réellement hypothétique pour la nation et pourrait entrainer, purement et simplement, son défaut de paiement dans quelques mois.

Notons que, tout compte fait, la position extérieure globale s’affiche, négativement, à hauteur de 76.374 millions de Dinars au terme de l’année passée, contre un solde de – 68.606 millions de Dinars en 2012. Ce qui correspond à un écart de liquidité de 7.768 millions de Dinars.

Les risques
La position actuelle où les déficits commercial et en capital de la Tunisie s’accumulent pour toucher la limite de l’insoutenabilité, pousse à évoquer le fait que l’économie nationale se situe dans la position classique de trappe à liquidité. C’est un phénomène observé lorsque les autorités monétaires sont dans l’incapacité de gérer une récession généralisée en raison de l’impossibilité d’injecter une masse monétaire supplémentaire et d’agir sur le taux d’intérêt directeur.

Dans pareilles circonstances où l’investissement et la consommation privés sont en grande paralysie, on recommande de compenser les pertes par une augmentation des dépenses publiques. Ceci est difficile à concrétiser par rapport à un budget de développement ne dépassant pas 4.500 millions de Dinars. Il s’agit donc d’un dilemme qui pose indéfiniment la problématique de chercher de la liquidité au niveau invisible de l’économie tunisienne, en l’occurrence, par rapport au gouffre de l’évasion fiscale et des rouages de l’économie souterraine.

D’autres problèmes se posent quant à la poursuite du rythme vertigineux du creusement du déficit commercial. En particulier, pour ce qui est de la gestion du risque de change et de la préservation de la valeur du Dinar Tunisien qui est géré par La BCT en mode de flottement dirigé par rapport à un panier de monnaies étrangères de référence.

Les difficultés, à ce titre, s’articulent principalement autour de la volatilité de plus en plus accrue des entrées de capitaux en Tunisie, de la faible croissance de la productivité totale des facteurs et des tirages additionnels en devises faits par les importateurs pour subvenir à leurs besoins en la matière auprès des banques.

Le risque de spéculation sur la monnaie nationale pourrait ainsi s’accroitre et entrainer l’imprécision des signaux de prix et les fluctuations du taux de change réel, ce qui se traduit, généralement, par un ancrage durable des pressions inflationnistes. Des pressions aggravées par l’incertitude qui renchérira, de manière certaine, le coût du capital et découragera les investissements.

Il est urgent de mener, dans l’état actuel des choses, une réflexion profonde pour gérer le déficit commercial en corrélation avec des choix macroéconomiques dont les effets sont difficiles à cerner.

La réalité est assez complexe. En soi, comme plusieurs économistes l’avaient montré, le déficit ne signifie rien. Cependant il est souvent l’indice du manque de compétitivité d’un pays qui vit au-dessus de ses moyens et dont le tissu économique est détruit par la fiscalité et la réglementation. Ce qui compte ce n’est pas le déficit, c’est ce qu’il y a derrière.


*Spécialiste en gestion des risques financiers
10/04/2014 | 1
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