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Chroniques
Dérapages gouvernementaux trop risqués
07/02/2011 |
min
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Par Nizar BAHLOUL

Vous connaissez Rachid Ammar ? Au cas très improbable que vous ne le connaitriez pas, je rappelle que c’est le monsieur qui a osé dire « non » à Ben Ali et que sans lui, le 14-Janvier n’aurait jamais eu lieu. Ce général de l’Armée a dix millions de fans en Tunisie. Et quand on est fan de quelqu’un, on cherche à prendre exemple sur lui, à lui ressembler, à le mimer, … à le singer.
Depuis que le général Ammar a dit « non », tout un chacun s’est mis dans la tête qu’il pouvait dire « non » lui aussi. Pour un oui ou pour un non, on dit « non » ! On dit « dégage », on dit « basta », on dit « stop ». En l’absence de foot ces dernières semaines, tout le monde s’est adonné à ce sport du « non ».

Tout le monde ? Presque ! Car il y a quelques uns qui n’ont pas réussi encore à savoir dire « non », alors qu’ils devraient être les premiers à le faire. Le premier à ne pas savoir dire « non », aujourd’hui, c’est le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi. Il ne sait que dire « oui » à la rue, lui et les membres de son gouvernement ! Aux revendications sociales, ils disent « oui ». Aux augmentations de salaires, ils disent « oui ». Aux démissions de PDG, ils disent « oui ». A la volonté populiste de changer un gouverneur tout fraichement nommé, ils disent « oui ».
Avant le 14-Janvier, on avait un peuple de béni oui-oui. Après le 14-Janvier, c'est un gouvernement de béni oui-oui que nous avons. Vive la révolution, vive le peuple, vive la volonté du peuple ! Chacun s’amuse comme il peut, et plus on est de fous, mieux c’est.

Dans une interview accordée au « Temps », Souhir Belhassen, présidente de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, prévient que la Tunisie post-révolutionnaire est menacée de l’intérieur et de l’extérieur. Elle est menacée par des forces contre-révolutionnaires qu’on voit se déployer d’une façon sérieusement menaçante.
Ces forces contre-révolutionnaires ne sont pas toujours celles qu’on croit. Il y a ces énergumènes armés qui ont pénétré de force le bureau du ministre de l’Intérieur et que quelques hauts dirigeants des Forces de sécurité ont rapidement libérés. Mais ces 2000-3000 individus, aussi armés soient-ils, ne sont pas les plus dangereux et ne sauraient menacer une volonté de plusieurs millions de citoyens sincères. Les plus dangereux, ce sont nous autres les citoyens.

Il s’agit de ces squatteurs de maisons de la SNIT qui, après avoir pénétré de force des maisons, cherchent à ce que l’administration régularise leur situation.
Il s’agit de ces citoyens qui se sont amusés à construire des maisons et à bâtir des étages, de nuit et de jour, en toute illégalité. Du côté de Bizerte, on construit aujourd’hui en pleine forêt !
Il s’agit de ces syndicalistes qui agressent des PDG, les poussant à quitter les lieux, voire à présenter leur démission.
Il s’agit de ces personnels, précaires, qui observent des grèves sauvages pour obtenir des avantages auxquels ils n’ont aucun droit.
Il s’agit de ces médias qui règlent leurs comptes avec leurs concurrents en fabriquant des reportages et en diffusant de faux témoignages.
Par la menace, par le forcing, par l’intimidation, nombreux sont ceux qui cherchent à profiter de cette période de flou transitoire pour avancer leurs pions, pour faire reculer le système, pour faire renier les engagements internationaux de la Tunisie, pour obliger certaines de nos grandes entreprises à faire marche arrière, alors qu’elles étaient sur la bonne voie de l’excellence.

Il y a ceux qui sont encore plus dangereux que ces citoyens squatteurs, revendicateurs, protestataires, contestataires.
Ce sont les ministres de notre actuel gouvernement.
On les voit défiler sur tous les plateaux essayant de satisfaire toutes les chaînes.
On les voit donner suite favorable aux revendications extravagantes.
On les voit prêts à reculer sur des décisions qu’ils viennent eux-mêmes de prendre.
Mais c’est quoi donc ce gouvernement qui ne sait pas dire « non » à ces forces contre-révolutionnaires qui, sous couvert du 14-Janvier et de lutte contre l’injustice sociale, s’ingèrent dans le management des entreprises (privées et publiques) et remettent en question des décisions stratégiques engageant tout le pays et son image ?

Le cas de Tunisair (auquel nous consacrons notre Une d’aujourd’hui) est des plus alarmants. Voilà donc une entreprise dont les concurrents s’appellent Air France et Lufthansa, dont les futurs concurrents s’appellent Ryanair et Easyjet, qui fait machine arrière pour revenir à son modèle des années 80 et 90. Après une grève de quelques jours, le gouvernement a cédé et va appliquer le statut social de Tunisair à toutes les autres filiales. Si l’on cherche à tuer Tunisair, on ne s’y prendrait pas autrement. Pour payer ce statut, Tunisair n’aura d’autre choix que de répercuter le coût sur ses passagers qui iront, inévitablement, vers les concurrents moins chers.

Le cas de Tunisie Telecom est encore plus délicat. Voilà donc une entreprise, dont les concurrents s’appellent Tunisiana et Orange, et dont le personnel refuse l’introduction en bourse, refuse la sous-traitance, refuse l'ancien et le nouveau PDG, refuse les salaires considérés mirobolants de quelques cadres. Des cadres débauchés aux plus grands opérateurs internationaux pour hisser l’opérateur historique tunisien au meilleur niveau.
Pour devenir concurrentielle et obéissant aux standards internationaux, Tunisie Telecom se devait de ramener des compétences exerçant à l’étranger et possédant le know-how en la matière. Elle n’avait pas le choix, son personnel (aussi qualifié et loyal soit-il) ne possédait pas ce know-how. Et pour ramener ces compétences, il fallait les débaucher en surenchérissant. On veut aujourd’hui réviser ce modèle (une grève est prévue cette semaine) et il n’est pas improbable que Tunisie Telecom retrouve son niveau d’antan. A une époque où le client est traité en usager, où il faut faire la queue deux heures pour régler sa facture, où le réseau est toujours souffrant, où les techniciens font une pause-café entre deux pauses-thé.

Pourquoi accède-t-on aux revendications du personnel de Tunisair et non aux revendications du personnel de Tunisie Telecom ? Et pourquoi pas, tant qu’on y est, ne pas faire bénéficier les agents des métros et des bus aux mêmes statuts que les agents de Tunisair ?
Si l’on suit le rythme du gouvernement qui a dit « oui » aux agents du Groupe Tunisair, on va pouvoir espérer obtenir une rente mensuelle de 1.500 dinars, tout en restant chez soi.
Le gouvernement cède et continue à céder à tout. Et au moment de payer la facture, il va devoir casquer rubis sur ongle. Cash.
D’où va venir l’argent ? Des investissements extérieurs, diriez-vous ? Faux ! Car les investisseurs étrangers ne sauront faire confiance en un gouvernement béni oui-oui qui accepte de voir ses entreprises-fleuron gérés à l’ancienne. Faute de confiance et de considération, ils iront voir ailleurs.
Là où le gouvernement ira chercher l’argent, c’est chez les bailleurs de fonds. Et ces derniers nous prêteront cet argent à un coût prohibitif vu que la notation de la Tunisie sera inévitablement baissée puisque ce pays, qui se socialise à l’extrême, est mal géré.
Et qui va rembourser cet argent ? Ce n’est pas notre génération, puisque nous n’arrêtons pas de revendiquer, mais nos enfants. Le luxe, qu’exigent aujourd’hui quelques personnels inconscients de la réalité économique de la Tunisie et du nouvel ordre mondial, a un prix et il est injuste que ce prix soit payé par nos enfants.
Il est injuste de casser, en quelques semaines, ce que nous avons construit en plusieurs décennies, en dépit de la dictature et de la corruption.
Mohamed Ghannouchi, dites leur « NON », c’est votre devoir. Général Ammar, vous avez dit non à un dictateur, dites « NON » maintenant à ces milliers de dictateurs d’entre-nous. C'est votre devoir. Il y va de l'avenir de tout le paquebot Tunisie.
07/02/2011 |
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