Affaire de l’organisation secrète : Aurions-nous dépensé des milliards pour des criminels ?
Par Sofiene Ben Hamida
C’est peut-être la faute des réseaux sociaux et de l’usage qu’on en fait en Tunisie depuis quelques années, mais les priorités des Tunisiens laissent parfois pantois.
A l’heure où les déclarations, les révélations et les témoignages se multiplient concernant l’existence d’une organisation secrète et d’une aile militaire et sécuritaire au sein du parti islamiste Ennahdha, l’opinion publique continue à s’accrocher à des faits divers et à des déclarations d’une chroniqueuse de fortune ou d’un matelot ignare. Au mieux, pour ceux qu’on croyait les plus avertis, la volte-face, la énième, de Slim Riahi et de son groupe de béni oui-oui, était plus important que la révélation d’une organisation secrète qui a montré sa dangerosité dans le passé lointain et récent, qui a infiltré les rouages de l’Etat et qui met en péril son existence.
Aujourd’hui, face aux documents révélés, des témoignages directs ou indirects, il est devenu certain que le parti islamiste s’est adossé depuis des décennies et jusqu’après la révolution à une organisation sécuritaire secrète qui a infiltré l’administration, la police et l’armée. Ce comportement est bien entendu contraire à tous les principes démocratiques. Il est interdit formellement par la loi sur les partis politiques. Même les défenseurs les plus acharnés des islamistes ont fini par avouer l’existence de cette aile secrète.
Slah Jourchi, que nul ne peut soupçonner d’être un anti-islamiste a affirmé que cette organisation avait bel et bien existé. Il a été de loin plus courageux que beaucoup parmi notre « classe politique » qui ont préféré passer sous silence cette affaire. Dans une manœuvre de diversion, Imed Daimi, le député du Harak, qui se veut le chantre de la transparence, a préfère se concentrer sur une pseudo affaire d’appel d’offres dans le secteur des transports que l’Inlucc aurait bâclée. Samia Abbou qui caracole depuis des mois à la tête des sondages, confirme son mutisme chaque fois qu’Ennahdha se trouve dans une mauvaise posture et se mure dans un silence coupable. Quant au nouveau groupe parlementaire, celui qui veut faire la politique autrement, aucun de ses membres n’a jugé utile de se prononcer sur une affaire qui implique le parti islamiste malgré son importance et sa gravité. L’opportunisme de cette démarche déçoit et ne préjuge rien de bon.
Ils ne sont pas les seuls malheureusement à décevoir. Les autres partis politiques n’ont pas eu un comportement plus honorable. Pourtant, cette affaire ne concerne pas le seul Front populaire et les avocats des martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahemi. Elle concerne l’Etat et ses institutions. Elle concerne l’ensemble des Tunisiens qui se sont inscrits dans le rêve d’une Tunisie nouvelle. Mais pour le moment, seule l’UGTT s’est exprimée.
Quant aux répercussions de cette affaire, elles peuvent s’élargir à des domaines encore plus larges qui toucheraient même à une révision de l’histoire contemporaine de notre pays et au processus de la justice transitionnelle. En effet, ne serait-il pas possible que certains membres de cette société islamiste secrète aient bénéficié du processus de la justice transitionnelle ? Y- a-t-il parmi les membres de cette organisation islamiste secrète ceux qui ont profité des indemnités dans le cadre de cette justice transitionnelle alors qu’ils sont en fait des bandits et des criminels ? Aurions-nous dépensé des centaines de milliards au profit de ces criminels ?
Trop de questions se posent légitimement aujourd’hui sur la démarche hâtive du gouvernement de la troïka qui a imposé, contre toute logique, l’existence d’un ministère de la justice transitionnelle, s’est empressé de débloquer les indemnités des « victimes » islamistes de la dictature avant d’annuler, sans grande résistance, ce ministère alors que la liste des martyrs et des blessés de la révolution n’a pas été définie. A l’heure actuelle, cette liste n’est toujours pas publiée.
L’affaire de l’organisation sécuritaire et militaire secrète au sein du parti islamiste est beaucoup plus complexe que ce qu’on veut bien nous faire croire. L’ouverture d’une enquête judiciaire ne mènera à rien s’il n’existe pas une réelle volonté politique pour faire toute la lumière sur l’un des plus graves dossiers de la deuxième République. Au point où on est, la vigilance citoyenne ne serait pas de trop.