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Chroniques
Abou Iyadh et Kamel Gadhgadhi, les martyrs oubliés
30/05/2016 | 15:59
5 min

 

Elle s’appelle Héla Omrane, elle est députée et elle a eu le malheur de s’indigner face à une photo de Mehrez Boudagga accrochée au congrès d’Ennahdha en sa qualité de « martyr du mouvement ».  Officiellement, c'est-à-dire juridiquement parlant, Mehrez Boudagga est un terroriste et il a été jugé comme tel. Partant, Mme Omrane s’est indignée d’une révision éhontée (et si rapide) de l’Histoire. Mal lui en a pris, car elle a été immédiatement la cible de toutes les attaques des islamistes lui reprochant « de salir la mémoire d’un « martyr » condamné suite à une parodie de procès sur la base d’aveux extorqués par, disent-ils, la torture ».

A lire Assabah du 18 août 1987, il y a bel et bien eu des aveux. Ces aveux ont même été diffusés la veille à la Télévision nationale. Le « martyr » a déclaré avoir été chargé par le Mouvement islamique de fabriquer les quatre bombes qui ont explosé, cet été là, dans des hôtels à Sousse et Monastir. « Procès non équitable », « aveux extorqués », « médias non crédibles et à la solde du régime dictatorial », « Boudagga est un martyr », « tous ceux qui n’ont pas eu de procès équitable sont des présumés innocents », balaient d’un trait les islamistes. A les entendre, ils sont tous innocents, victimes de la torture et de la dictature. Abdellatif Mekki ose carrément dire que c’est le ministre de l’Intérieur de l’époque (Zine El Abidine Ben Ali) qui aurait perpétré ces attentats afin de déstabiliser l’ancien président et prendre ensuite sa place.

 

Des témoins de l’Histoire de cette époque sont pourtant encore vivants. On pourra citer entre autres Ahmed Manaï, Sahbi Amri voire même Slah Jourchi. Des mémoires de fin d’études ont été élaborés à propos de ces événements dont celui du rédacteur en chef de Hakaek, Mohamed Youssfi ainsi que des recherches approfondies dont celles du très sérieux Hédi Yahmed. Tous des menteurs ? Possible.

S’il n’en fallait qu’un, je prendrai alors le témoignage de Abdelkrim Harouni, nahdhaoui pur jus, ancien prisonnier, ancien ministre de la troïka et « blanchisseur » sur le tard des islamistes condamnés pour terrorisme. Ce témoignage se présente sous forme d’une vidéo réalisée en 2011 après la révolution et le départ de Ben Ali et j’invite tous les sceptiques à la visionner (cliquer ici). C’était avant que l’intéressé n’occupe son portefeuille ministériel et qu’Ennahdha n’établisse sa tactique de blanchiment des terroristes pour les transformer en martyrs.

  

Après avoir obtenu l’amnistie, après avoir été élus à la plus haute instance du pouvoir, après avoir été reconnus, les islamistes veulent maintenant réécrire l’Histoire à leur manière. Partant du principe que l’Histoire est écrite par les vainqueurs, se positionnant comme étant les vainqueurs du moment, ils sont en train de transformer des terroristes en martyrs.

Quand ils seront réellement des vainqueurs, tenant entre leurs mains toutes les arcanes du pouvoir, ils vont faire pareil et transformer en martyrs les terroristes d’aujourd’hui. Au XIème congrès d’Ennahdha, il ne serait pas étonnant de voir des photos géantes en hommage à Abou Iyadh et Kamel Gadhgadhi. Il ne serait pas exclu que Ali Laârayedh monte à la tribune pour dire « J’ai tout fait pour sauver Abou Iyadh  des griffes des extrémistes laïcs, mais ils ont quand même réussi à l’abattre !». On rendra, dans la foulée, un hommage au père de Kamel Gadhgadhi qui a été condamné à un an de prison ferme pour le seul tort d’avoir inscrit le mot « martyr » sur la tombe de son fils.

 

Pour ne pas voir demain Abou Iyadh et Kamel Gadhgadhi habillés dans les costumes de victimes, il est impératif qu’il y ait un appareil judiciaire indépendant capable de traiter les dossiers en toute équité. Ce n’est pas encore acquis.

Pour savoir si Mehrez Boudagga était un martyr ou un terroriste, il est impératif qu’il y ait un appareil chargé de la Justice transitionnelle indépendant capable de traiter les dossiers en toute équité. Ce n’est pas du tout acquis et ça ne le sera pas tant que cet appareil (appelé Instance Vérité et Dignité) est présidé par Sihem Ben Sedrine dont le nombre de casseroles concurrence celui des dossiers à traiter.

 

Si Ennahdha a eu le culot de réviser l’Histoire et de transformer le terroriste Mehrez Boudagga en martyr, c’est parce qu’il lui a été permis de mettre en doute l’appareil judiciaire des années 80 et celui de Ben Ali. Sa version est assez crédible quand on sait que cet appareil judiciaire n’a pas été vraiment indépendant du pouvoir politique.

Il en sera de même demain avec ces mises en doute régulières de l’Instance Vérité et Dignité. Les médias ont beau dénoncer la supercherie, preuves à l’appui, les démissionnaires de cette instance ont beau crier au scandale et accuser directement sa présidente de corruption, Sihem Ben Sedrine continue à faire ce qu’elle veut de cette justice transitionnelle. Les organismes chargés de lutter contre la corruption ferment les yeux sur elle (à commencer par Chawki Tabib) tout comme les ONG et les partis qui appellent à la transparence, à l’équité et la justice. Un verbiage pompeux valable pour être servi médiatiquement aux naïfs, mais qui n’a aucune incidence sur la réalité du terrain.

Aujourd’hui, Ennahdha a transformé un terroriste en martyr. Demain, Sihem Ben Sedrine vous transformera des corrompus en victimes et écrira l’Histoire comme elle l’entendra.

 

Pour pouvoir avancer, pour pouvoir assurer cette justice transitionnelle et s’assurer que la Tunisie ait définitivement une véritable justice digne d’un pays démocratique et développé, il est impératif d’en finir dès maintenant avec les falsificateurs de l’Histoire.

Héla Omrane a fait son travail de député en criant au scandale, Zouheïr Makhlouf a fait son travail de témoin en dénonçant la corruption, les médias ont fait leur travail en relayant tout cela, qu’attendent les autres acteurs de la chaîne pour faire arrêter le manège de cette falsification éhontée ? Le plus grotesque serait que l’intimidation du pouvoir dictatorial laisse sa place à l’intimidation des puissances étrangères et/ou de l’argent qui ne veulent pas qu’on touche à tel parti ou telle personnalité.  

30/05/2016 | 15:59
5 min
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Commentaires (22)

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safsaf123
| 31-05-2016 21:32
L'équité exige que le meurtre commis par un politicien (ou par un aspirant a le devenir) est un crime terroriste. Quid donc de l'assassinat prémditée de Slah Ben Youssef alors qu'il est à l'étranger.
Ah j'ai oublié qu'il y est une caste d'intouchables qui ont droit de tuer leurs opposants, trafiquer les éléctions et s'enrichir illégalement. Je parle évidemment des doustouriens qui ont volé la voix du peuple, peut être qu'ils font partie du peuple élu par dieu pour gouverner la Tunisie.

J'espère que ce commentaire passera

anti barbus
| 31-05-2016 12:52
on va supposer que le monsieur n'est pas terroriste puisqu'il est jugé par une cour de sureté de l'Etat. Je vous pose une question, pourquoi la police l'a traduit lui et pas votre père ou un autre citoyen qui était au café ou dans un match de foot ? Pourquoi lui s'il n'était pas dans la secte et s'il n'a pas vraiment quelque chose à se reprocher ? Que la cour soit dictatoriale, ceci n'empêche pas qu'elle soit là au service de l'etat comme son nom l'indique.
Tu dis que ce monsieur n'est pas coupable, mais il n'est pas innocent non plus, alors refaisons le procès ! Mais svp n'innocentez pas un monsieur attrapé en flagrant délit de chercher à tuer votre père, votre frère et notre patrie. Non, pas ça svp !!! Je vous invite à regarder les aveux de harouni, vous aurez une idée plus claire peut-être.

MFH
| 31-05-2016 11:50
Généralement on désigne par martyr celui qui consent à aller jusqu'à se laisser tuer pour témoigner de son patriotisme, plutôt que d'abjurer. Ainsi, un soldat qui meurt sur le champs de bataille pour sauver son pays meurt en martyr. Boudegga, ne peut pas faire partie de cette catégorie pour la simple raison que son intention n'était pas la défense de la patrie, mais était de prendre le pouvoir de force, en posant des bombes et tuant des innocents. Ça n'a rien d'un martyr et a tout d'un traître et d'un lâche. Nos martyrs défendaient la patrie, leurs martyrs détruisaient la patrie pour le compte de puissances liées au sionisme international.

henda
| 31-05-2016 11:40
L'article part d'un fait selon lequel le martyr à qui l'on a rendu hommage est un terroriste avéré. Juridiquement, la responsabilité d'avoir perpétré des attentats terroristes lui incombe. Mais de quelle justice parlez-vous ? Comment pouvez-vous prendre en considération des jugements faits par une instance comme la Cour de la Sureté de l'Etat ? Pour rappel, ce genre de Cour n'existe que dans les Etats totalitaires. C'est un tribunal spécialisé dans les procès politiques. Utiliser de tels jugements comme argument montre à quel point l'on manque d'arguments. Ce qui s'est passé sous Benali ne peut que très difficilement faire office de fait. Au contraire, les jugements rendus contre tout opposant du temps de Benali devraient être un contre-exemple. C'est parce qu'il a été jugé coupable par la Cour de la Sureté de l'Etat que cet opposant, juridiquement responsable, n'est en réalité qu'un innocent additionnel qui paie le prix d'une justice au service d'un régime dictatorial.

Educatrice
| 31-05-2016 10:06
Qu'arrive-t-il à notre pays?? Et on parle de démocratie? Démocratie suppose justice, une justice indépendante.Même les décisions du Tribunal Administratif ne sont pas respectées. IL ne faut surtout pas arrêter de dénoncer, les médias doivent continuer comme vous faîtes...

S.citoyen
| 31-05-2016 09:47
c'est leur culture , c'est pour cela qu'ils sont toujours réunis et il n'y a pas de divergence entre eux , car ils ont la mm culture , les mm principes qui tirent leurs racines de la religion elle même

sss
| 31-05-2016 09:03
Ils les traitent de martyrs tout bonnement parce qu'ils leur ont donné l'occasion d'être ce qu'ils sont aujourd'hui! donc ils leurs doivent bien ça! eux qui ont fui la prison et les ont laissé là pour payer à leur place! Mais un bon et loyal capitaine ne quitte jamais le navire en premier mais eux ils sont partis en laissant leurs amis dans le pétrin! eux ils ont eu la vie et maintenant le prestige l'argent! et les autres ont récolté la torture les viols et la mort donc automatiquement ils les traitent de martyrs ils leurs ont préparé le terrain pour être ce qu'ils sont aujourd'hui....

Momo
| 31-05-2016 08:50
Pas besoin de remonter beaucoup dans le passé. Il suffit de se rappeler les mythiques : "ça me rappel ma jeunesse", "ce sont nos enfants", enfin les leurs,et "ils font du sport pour se débarrasser de leur cholestérol". Ils peuvent contracter toutes les boites de com du monde, Nous n'oublierons jamais !!!

JOHN WAYNE
| 31-05-2016 07:53
L'histoire de la lutte pour l'indépendance de la Tunisie est un sujet inépuisable en détails historiques l'un aussi fascinant que l'autre.
La Tunisie a obtenu son indépendance car elle avait comme Nationalistes des hommes qui alliaient intelligence, pragmatisme, et intégrité.
Mes lectures nocturnes qui pendant le mois de Ramadan iront en s'intensifiant et ne se finiront pas par un mesfouf aux raisins secs, mais par un Johny Walker bien frappé, sont infiniment enrichissantes.
C'est dans la nuit et lorsque je bénéficie de plus de silence alors que les hordes qui constituent le peuple Tunisien sont moins bruyantes et assoupies dans le sommeil du sous-développement et du fanatisme de l'Islam, que je me délecte le plus de ces péripéties qui ont mené a la signature du traité de l'indépendance.
Un traité aujourd'hui virtuel et même caduque car comme les impérialistes le voulaient, l'élite Nationaliste Tunisienne a été supplantée par des hordes de traitres dont les desseins sont de simples objets de luxe et des comptes en banque offshores en échange de cette souveraineté si chèrement acquise.

Contrairement à ce que vos cerveaux de primates sous-développés et recolonisés pourraient penser, Bourguiba a peu connu Farhat Hached.
Le Zaim a rencontré ce martyr de loin en 1949 a son retour d'Egypte.
Mais Bourguiba a pu mieux connaitre Farhat Hached en Septembre 1951 à San Francisco lors du Congrès annuel de l'American Federation of Labor.
Bourguiba rencontrera de nouveau Farhat Hached à Tabarka en Janvier 1952 en présence de Hedi Nouira.
En Septembre 1952 et alors que Bourguiba était en exil à l'ile de La Galite, Le Zaim recevra une lettre écrite de la main du Martyr Syndicaliste et où il y sera écrit :

« Nous nous somme imposé comme devise : vigilance encore et toujours'et fermeté. » (En Français)

Et dans la marge était écrit en Arabe les mots suivants :

« En avant toujours, l'avenir est à nous. FH. »


En vous souhaitant un Ramadan maudit.

Votre dévoué,
JOHN WAYNE

Mohamed Obey
| 31-05-2016 00:52
Je partage chaque mot écrit dans cet article. Malgré les sarcasmes caractérisant les commentaires qui penchent vers la version dénoncée par l'article en question, en ma qualité de lecteur attaché à la vérité, j'applaudis le courage de l'auteur qui ne s'est pas lassé de rendre un témoignage journalistique objectif et non biaisé. M. Bahloul, continuez, il y a des gens dont la loyauté ne va qu'à la vérité!