127 victimes et une tête dans un frigo
« Le frère du jeune berger, décapité hier par les terroristes à Sidi Bouzid, a affirmé que la tête de son frère se trouve actuellement dans le réfrigérateur du domicile familial et que les forces de l’ordre ne sont pas encore venues récupérer ce qui reste de la dépouille ». N’est-ce pas la phrase la plus choquante qu’il vous ait été donné de lire en cette journée ?
Au JT de la télévision nationale, on se rend chez la famille de la victime, on leur demande d’ouvrir le frigo et on montre à la télévision, dans une heure de grande audience, un sachet plastique contenant ladite tête. N’est-ce pas l’image la plus indécente qu'on puisse montrer aujourd’hui?
En Tunisie, un jeune berger se fait décapiter par un groupe terroriste retranché dans les montagnes. Deux jours plus tôt, ce même groupe poste une vidéo dans laquelle il montre un autre berger tunisien, assassiné par ses soins, pour lancer un message aux « indics du Taghout » [ndlr : ceux qui collaborent avec les forces de l’ordre] les avertissant du sort qui les attend.
En France, 127 personnes se font massacrer dans différents lieux de la capitale. Aux alentours d’un stade, dans un restaurant, une salle de spectacles, brefs des lieux où la vie se manifeste le plus. Des dizaines de personnes sont tuées en une seule nuit. Près de 300 blessés sont inscrits au tableau, presque une centaine d’entre eux sont dans un état grave.
Quels sont les morts qui ont plus de valeur que les autres ? Celles de centaines de personnes (toutes nationalités confondues, dont deux Tunisiennes) qui sont fusillées par dizaines par des tueurs fous ? Ou celle d’un jeune berger dont on ramène la tête dans un morceau de tissu et que la famille garde au frais car aucun responsable n’est venu chercher sa dépouille ?
On s’indigne de voir un attentat plus condamné qu’un autre. De voir un chef d’Etat se déplacer à l'Elysée pour présenter ses condoléances à des « étrangers » alors qu’une tête, bien de chez nous, l’attend au frais dans un frigo. On s’indigne de voir des politiques multiplier les messages de condoléances et de soutien au peuple français, victime d’un massacre, alors que des Tunisiens, bien de chez nous, subissent la même chose sur le sol national. Même en plus petit nombre.
La communication des officiels fait de la peine à voir. Ceci n’est pas nouveau. Le « geste fort » de notre président national, premier à se rendre à l’Elysée, pour exprimer sa sympathie à François Hollande avec des mots qui ne veulent au fond pas dire grand-chose, contraste fortement avec son mutisme face à l’horreur de l’attentat commis hier à Sidi Bouzid.
Tout ceci est rageant. Soit ! Mais ça ne l’est en aucun cas plus que les images de l’horreur qu’on voit partout. Le fait que des civils se font massacrer dans un total mutisme en Tunisie est aussi abominable que les images d’autres civils qui se font fusiller de l’autre côté de la Méditerranée.
Cette idée de hiérarchiser les drames est tout simplement abjecte. Pleurer le jeune bouzidien mais ne pas nous attrister du sort de dizaines d’étrangers tués, nous rendra-t-il plus patriotes ?
En réalité, les terroristes ne font pas forcément autant de distinction dans leurs victimes. Seule l’horreur compte. Hier, que ce soit à Sidi Bouzid ou à Paris, l’horreur a franchi un nouveau cap. On décapite de jeunes bergers et on fonce sur des salles de spectacle. Une seule finalité à cela : semer la terreur et faire peur… d’un côté comme de l’autre.
Au-delà des complexes de colonialisme et des considérations patriotiques, le combat est le même : lutter contre ce fléau et rendre hommage aux vies humaines. Et cela, ce n’est pas une visite à Paris ni un communiqué de soutien qui pourra y parvenir…