124 opportunistes font renaitre la dictature
Pour reprendre le néologisme de Mustapha Kamel Nabli, ce qui s’est produit hier 18 juin 2019 à l’Assemblée est un démocraticide. Les mêmes élus qui n’arrivent pas à trouver de consensus sur la cour constitutionnelle depuis quatre ans sont tous tombés d’accord, en un temps record, sur la nécessité d’amender la loi électorale. Plus précisément sur la nécessité de confectionner une loi sur mesure pour éliminer de la course certains candidats dont Nabil Karoui et Olfa Terras.
L’arme « démocratique » a été utilisée par le gouvernement et ses élus pour s’assurer que ces candidats gênants au niveau des sondages soient mis hors d’état de nuire. Sauf que les stratèges de cette opération ont omis le fait qu’il s’agit d’une arme de destruction massive qui porte atteinte, d’abord et avant tout, à la fragile démocratie tunisienne. C’est un dangereux précédent qu’ils ont institué en prétendant vouloir défendre le peuple et « assainir le climat politique du pays », oubliant au passage qu’il est devenu sale et oppressant à cause d’eux, d’abord.
Le gouvernement, avec Youssef Chahed à sa tête, s’est plaint à maintes reprises de la lenteur de l’ARP et des projets de loi révolutionnaires qui dorment dans les tiroirs. Pourtant, quand il s’agit d’éliminer des concurrents potentiels à la magistrature suprême, le gouvernement se découvre une force de mobilisation impressionnante. Une loi adoptée en un temps record avec une présence massive des députés en prime !
Les défenseurs de ces amendements honteux évoquent le fait que c’est par un processus démocratique que ces changements ont été votés, qu’ils n’ont rien à se reprocher dans cette histoire. Mais il faut apparemment leur rappeler que même Hitler a été élu démocratiquement, que les pires lois ségrégationnistes aux Etats-Unis et ailleurs ont été votées, que l’Apartheid en Afrique du Sud était régi par des lois votées dans des parlements. Et puis, qu’on ne vienne pas nous prendre pour des billes aussi effrontément ! Où est passé l’amendement concernant l’interdiction de se présenter à ceux qui ont fait l’apologie du terrorisme ? Pourquoi a-t-on abandonné l’amendement du seuil de 3% à 5% ? Pourquoi avoir voté contre l’amendement proposé par Mongi Harbaoui interdisant le nomadisme parlementaire ?
Il s’agit là d’une bande d’opportunistes qui veulent garder leurs places à l’ARP et ne se soucient aucunement de la démocratie ou du bien du pays. Nous sommes apparemment condamnés à avoir des tuteurs et non des élus. Nous sommes un peuple à qui il faut dire quoi penser, comment réfléchir et qu’on juge, surtout, inapte à choisir de lui-même. Il nous a fallu 124 députés et un gouvernement, tous préoccupés par leur avenir, pour nous dire que Nabil Karoui, Olfa Terras et autres ne sont pas bons pour le pays. Dans la plus pure logique de Ben Ali, nous ne sommes pas un peuple de citoyens mais un troupeau auquel il faut tout apprendre, incapable d’opérer le moindre choix sain.
D’autre part, toute cette mascarade a commencé par le fait supposé que les gouvernants actuels estiment valoir mieux que les potentiels concurrents en termes de morale et d’éthique. Il est vrai que ces derniers ont pénétré le monde politique par des voies peu orthodoxes frisant l’illégalité. Toutefois, ils n’ont rien commis de répréhensible par la loi à l’époque des faits. Mais nous en avons suffisamment vu au sein de l’ARP et ailleurs pour savoir que ce n’est certainement pas la morale qui étouffe une majorité des élus de la nation.
Est-il exagéré de parler d’une dictature à ce stade ? Certainement pas, car l’ensemble des dictateurs de ce monde pensent bien faire. La dictature commence lorsqu’on confisque le choix des citoyens et qu’on les prive, par conséquent, de leur libre arbitre. Tahya la dictature.